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L'aventure de l'édition intégrale du
Journal Intime d'Henri-Fréderic Amiel

par Anne Cottier-Duperrex
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texte - annotation - relecture


 La genèse de l'édition

Après la seconde guerre mondiale, Vladimir Dimitrijevic, un très jeune yougoslave, a quitté son pays pour gagner l'Europe occidentale. Il arriva en Suisse. Or, il avait appris dans le Journal de Léon Tolstoï que ce dernier, vers la fin de sa vie, ne lisait plus que deux livres: la Bible, et le Journal intime d'Henri-Frédéric Amiel.

Aussitôt arrivé à Lausanne, Vladimir Dimitrijevic se rendit dans une librairie pour acheter les Fragments de Journal intime d'Amiel. A sa grande stupéfaction, il apprit que cette édition était épuisée depuis longtemps.
Au commencement des années 70, Vladimir Dimitrijevic, ayant fondé la maison d'édition L'Âge d'Homme, se proposa de publier le Journal d'Amiel, estimant qu'il devait figurer in extenso dans la bibliographie suisse. Il se renseigna et apprit que le manuscrit était conservé à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, qu'il comptait 16.840 pages (environ 180 cahiers) , et ne serait pas publié avant le centenaire de la mort d'Amiel, qui devait tomber en 1981. Cet embargo avait été décrété par un comité de surveillance constitué par un représentant des héritiers d'Amiel, un professeur de la faculté des lettres, et le directeur de la Bibliothèque.

Par testament, Amiel avait confié son Journal, sa correspondance, ses cours manuscrits et ses souvenirs de jeunesse à l'une de ses amies, Fanny Mercier, tandis qu'il destinait ses poésies inédites à une autre amie, Berthe Vadier.
Les papiers de famille et quelques autres documents échurent à ses sœurs Fanny Guillermet et Laure Stroehlin. Vers la fin de sa vie, Amiel avait appris de la bouche de sa sœur Fanny qu'elle avait détruit toutes les lettres qu'il lui avait écrites, ainsi que d'autres correspondances familiales, aussi a-t-il dû éviter dans la mesure du possible que ses papiers n'échouassent entre ses mains, de peur qu'elle ne les détruisît. Jules Guillermet a cependant légué des cahiers du Journal d'Amiel à la BPU en 1917.
Les dispositions testamentaires successives prises par Amiel, jamais remaniées, mais ajoutées les unes aux autres, se révélèrent peu claires et parfois contradictoires.
Il avait désigné comme exécuteur testamentaire son ancien étudiant Charles Ritter, avec lequel il était resté en relation amicale jusqu'à sa mort; mais Ch. Ritter se récusa, vexé qu'il ne lui aie pas légué ses papiers, et c'est Joseph-Marc Hornung, son ancien camarade d'études, qui se dépensera avec dévouement pour faire aboutir les intentions du défunt.
Berthe Vadier, également déçue, car elle avait soigné Amiel avec dévouement jusqu'à sa mort et l'avait beaucoup aidé dans la publication de ses derniers recueils de poèmes, se retira également de l'entreprise.
Quant à la famille d'Henri-Frédéric, elle fut d'abord irritée d'avoir été écartée du projet, mais elle exécuta honnêtement les dernières volontés d'Amiel.
Fanny Mercier a extrait du Journal intime 400 à 500 pages de réflexions esthétiques et philosophiques, qu'elle envoya à Paris à Edmond Scherer, sénateur, critique littéraire du Temps, avec lequel Amiel avait gardé des liens d'amitié. Sceptique, il mit des mois avant d'y jeter un coup d'œil. Mais, en les lisant, il fut frappé de la profondeur de vue et de la rigueur de pensée de l'écrivain et accepta de les faire publier. En 1882 et 1884 ont paru les deux petits volumes des Fragments d'un Journal intime préfacés par Edmond Scherer, qui furent réimprimés 13 fois jusqu' en 1919.
Ce travail achevé, !e manuscrit devait retourner à la famille; mais Fanny Mercier - qui connaissait les réticences d'Amiel quant au traitement que les proches réservent souvent aux héritages, surtout intimes comme un journal, réussit en 1917, après de longues tractations, à signer une convention avec le neveu d'Amiel, le Dr Jules Guillermet, et le Conseil Administratif de la ville de Genève, par laquelle ils faisaient don à la BPU des manuscrits d'H.-F. A.., ce qui permettrait de les conserver dans les meilleures conditions et donnait également la possibilité de les mettre un jour en valeur. Ils ne pourraient être rendus publics qu'en 1950. En 1938, la commission de surveillance décida de prolonger l'embargo sur le Journal jusque en 1981, 100 ans après le mort d'Amiel, vu son caractère intime, pour éviter l'indiscrétion.
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Bernard Bouvier, neveu de Fanny Mercier et héritier après elle de tous les papiers d'Amiel qu'elle détenait encore, devenu professeur de littérature à l'université de Genève établit à son tour une édition d'extraits du Journal comportant trois tomes, publiée en 1923, rééditée en 1927 et il fit connaître des essais critiques et de nombreuses pages de la correspondance.

Vladimir Dimitrijevic écrivit à Genève au professeur Marcel Reymond, pour lui demander s'il accepterait de participer à une édition intégrale. Le professeur Reymond, déjà à la retraite, adressa lui-même cette requête à Philippe Monnier, conservateur des manuscrits de la BPU, qui avait déjà publié en 1973 une édition intégrale du Journal couvrant la période de janvier à juin 1854, pour la " Bibliothèque romande ", une collection groupant une trentaine d'œuvres du XVIe au XXe siècle, assurée en commun par les éditions Rencontre et Payot.
Philippe Monnier accepta cette tâche, sous réserve d'en recevoir l'autorisation du comité de surveillance constitué par un professeur de littérature française, le directeur de la Bibliothèque et un représentant des héritiers. Ce comité de surveillance, constitué par le professeur Jean Starobinski, par Philippe Monnier, délégué par le directeur de la B.P.U. Marc-Auguste Borgeaud, et une tierce personne, décida d'autoriser la publication de ce manuscrit.
Philippe Monnier entreprit aussitôt des démarches pour trouver les moyens de concrétiser ce projet. Une rencontre au café Lyrique, à Genève, réunit alors l'éditeur Vladimir Dimitrijevic, le professeur honoraire Marcel Reymond, le directeur de la B.P.U. M.A.. Borgeaud, le professeur Jean Starobinski et Mme Lise Girardin , alors conseillère administrative de la ville de Genève, chargée du Département de la culture, auxquels Philippe Monnier avait eu l'idée d'adjoindre le professeur Bernard Gagnebin, doyen de la faculté des lettres qui, dirigeant déjà de nombreuses éditions, apporterait l'expérience nécessaire pour mener à bien cette entreprise. Bien introduit auprès de la section des sciences humaines du Fonds national suisse de la recherche scientifique, le professeur Gagnebin obtint l'aide de cette institution afin de financer ce travail de longue haleine. C'est ainsi qu'un poste d'assistant a été attribué à cette recherche pour trois ans, renouvelable. Pierre Dido, mon prédécesseur, a occupé ce poste dès le 1er mai 1974. Philippe Monnier et lui fixèrent tout d'abord un certain nombre de règles d'édition, conscients qu'elles les engageaient pour la durée de la publication, alors que ni l'un ni l'autre n'avait lu le journal dans son entier.
En avril 1977 j'ai succédé à Pierre Dido pour 16 ans et 6 mois. Durant un mois il m'a initiée à la tâche que j'aurais à continuer. L'établissement de cette édition a donc pris 19 ans et demi au total.

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En juin 1839, Amiel, qui n'a que 18 ans, commence à tenir un journal de ses pensées, qu'il interrompt au bout de six semaines; il le reprendra épisodiquement de 1840 à 1847.
Le Journal devient régulier dès son retour à Genève, à fin décembre 1847.
Entre temps Amiel voyagea en Italie et à Malte (1841), à Paris, en Normandie, en Belgique, en Rhénanie, il assista à des cours à l'université de Heidelberg et finit par s'inscrire à l'université de Berlin en octobre 1844, pour y suivre les cours de philosophie de Helfferich, Trendelenbourg et surtout Schelling. En plus, il suivit des enseignements de philologie, d'esthétique, d'histoire, de géographie, d'anthropologie, de psychologie et même de théologie. D'avril 1846 à décembre 1847, il commença à rédiger son journal plus souvent, mais ni chaque jour, ni chaque mois, tant s'en faut. Il ne le tint vraiment régulièrement qu'à partir de 1848.

En 1848, le gouvernement de James Fazy, qui fut établi après la révolution radicale de 1847, élabora une loi sur l'instruction publique qui réduisait le nombre des enseignants et eut pour conséquence la destitution de 6 professeurs jugés trop conservateurs. Cette mesure, unique dans les anales de l'université de Genève, venait s'ajouter à la démission de huit professeurs, la plupart éminents, qui refusaient de servir le nouveau régime. Plusieurs postes se trouvèrent donc à repourvoir. Averti de cette occasion inespérée par son beau-frère, le pasteur François Guillermet, Amiel revint à Genève en décembre 1848 pour se présenter au concours destiné à repourvoir le poste de professeur d'esthétique et de littérature française à l'Académie - dénommée ainsi car elle ne comprenait pas encore toutes les facultés, privée qu'elle était, notamment, de faculté de médecine - . Ce concours consistait en une dissertation dont l'énoncé était: Du mouvement littéraire dans la Suisse romane.

Depuis lors, Amiel vécut à Genève, n'y interrompant son séjour que pour des vacances, des voyages ou des cures. Pendant ses déplacements, il continuait son journal, généralement sur de petits carnets plus adaptés aux voyages que les cahiers qu'il confectionnait lui-même. Ces carnets de voyage n'ont pas été inclus dans l'édition intégrale, ni ses carnets de jeunesse.

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L'établissement du texte

Tout d'abord, le Journal a été entièrement photocopié en trois exemplaires.
L'un de ces exemplaires était fourni à une étudiante engagée pour dactylographier le texte. Chaque mois elle rapportait la photocopie du manuscrit et une copie dactylographiée à double interligne d'un cahier d'Amiel. Le dactylogramme était photocopié à son tour, afin de disposer de trois exemplaires.
Notre premier contact avec le texte consistait en une lecture à deux, l'un lisant la copie dactylographiée, le second vérifiant sur le manuscrit qu'elle était conforme au texte d'Amiel. Très vite, nous en sommes arrivés à nous spécialiser : je lisais à haute voix tandis que Philippe Monnier suivait sur le manuscrit et signalait les erreurs de transcription, que je corrigeais aussitôt sur ma copie. Cela nous occupait environ deux heures par jour, avec une petite interruption pour se reposer la voix et recentrer notre attention.

Le reste du temps je m'occupais de l'établissement du texte et de l'annotation. L'établissement du texte consistait à relire le texte dactylographié et collationné, en le comparant s'il y avait doute avec la photocopie du manuscrit ou le manuscrit lui-même, à la loupe, si le texte comportait des ratures, une surcharge, une tache ou une graphie peu claire.
Le parti-pris par les éditeurs était de corriger les fautes d'inattention: accords fautifs, marques du pluriel oubliées, etc., et de rétablir l'orthographe courante à l'époque de l'écriture du Journal. Pour ce faire, je disposais en permanence sur ma table de travail d'une bonne douzaine de dictionnaires et d'encyclopédies: le Dictionnaire de l'Académie (6e édition, 1835, et le Complément de 1842), le précieux Dictionnaire National de Bescherelle (1845), généralement peu considéré car il n'est pas systématique; il contient cependant le plus grand nombre d'entrées des dictionnaires de cette époque, ce qui permet de vérifier et l'orthographe et ses variantes, et signale aussi des formes vieillies, qu'il est le seul à mentionner. Viennent ensuite le Littré, qui avait commencé à paraître en fascicules dès 1863, l'extraordinaire Grand Dictionnaire universel du XIXe s. de Pierre Larousse, et, bien évidemment le Robert et le Thésaurus de la Langue française. Cela permettait de vérifier l'orthographe et le ou les sens des mots utilisés dans le Journal. Malgré cela, il importait de rester très circonspects, car j'ai eu plus d'une fois la surprise de constater que des formes orthographiques qui ne figuraient dans aucun des dictionnaires consultés, étaient bel et bien usitées dans les revues et les romans du XIXe siècle qu'Amiel lisait, par exemple "frimats", "truchemen", "comfort", "enfans", etc. De plus, Amiel comme tous ses contemporains, n'était pas toujours fixé sur la graphie des noms propres, ainsi que je pus le constater sur les documents de l'époque, jusque dans les registres d'état civil.

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L'annotation


La place étant réservée au texte avant tout, les notes en bas de page devaient être des plus succinctes. Lorsque les lecteurs peuvent trouver le renseignement dans le Grand Dictionnaire Larousse du XXe siècle en sept volumes, qui est assez complet et bien répandu, nous n'avons pas fait de note. Elles devaient signaler les variantes du texte, la traduction des citations et des termes étrangers, l'identification des personnes et des lieux, des auteurs des citations et la référence des oeuvres d'où elles étaient tirées, ainsi que divers renseignements nécessaires à la compréhension du texte.
Dans la mesure du possible, toute vérification de date, d'orthographe, d'identité, ou quelle qu'elle soit, devrait émaner de trois sources concordantes. Cela n'est évidemment pas toujours possible.

Le texte du Journal, écrit au courant de la plume, comporte évidemment peu de variantes. Des corrections s'y rencontrent parfois, le plus souvent apportées par Amiel lors d'une relecture à une ou des époques ultérieures; il arrive ainsi qu'Amiel indique dans son Journal qu'il a relu tel cahier, te telle date à telle date…
Il faut signaler que sauf une exception, aucune page du Journal n'a été arrachée. Quelques mots, parfois, ont été caviardés.

Amiel, comme la plupart de ses contemporains, cite énormément ; en français surtout, mais aussi en allemand, en latin, en grec, en anglais (bien qu'il n'ait pas étudié ce dernier). Il nomme parfois l'auteur, mais peu souvent, et ne précise presque jamais le titre de l'œuvre d'où il a tiré ce qu'il cite. Pour la traduction de la prose et surtout des vers étrangers, des spécialistes de différentes littérature m'aidèrent en m'apportant des précisions sur le sens des mots, dans leur contexte local et temporel, en relisant mes notes et en y apportant les corrections ou les précisions nécessaires, et aussi à identifier l'auteur lorsqu' Amiel ne le mentionnait pas et à trouver de quelles oeuvres ils provenaient.

L'identification des personnes mentionnées était plus aisée, grâce à de nombreux ouvrages: le Livre du Recteur de l'Académie de Genève, que Mme Stelling-Michaud était alors en train de terminer, donne sous une forme claire et ramassée une foule de renseignements sur tous ceux qui ont fréquenté l'Académie, depuis sa fondation par Jean Calvin jusqu'en 1878, date où elle fut convertie en Université; le Dictionnaire historique et biographique de la Suisse (DHBS) et le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, les différents dictionnaires historiques, géographiques et biographiques, les encyclopédies britannique, espagnole, italienne, l'Almanach de Gotha, l'Annuaire de la noblesse française, l'Annuaire des protestants de France, etc., etc., sans compter les annuaires d'adresses de Genève, et les nombreux ouvrages de la BPU qu'il serait impossible de citer ici. Fréquemment, j'avais à consulter les recueils des actes d'état civil aux Archives d'Etat, qui donnent aussi, sous une forme succincte, de nombreuses indications sur une personne et son entourage, les archives du Conservatoire, du Collège, etc., et j'avais aussi la chance que le Département des manuscrits de la BPU possédât quelques journaux intimes de contemporains d'Amiel, dont deux notamment d'amis proches, Charles Heim et Joseph Marc Hornung - ce dernier étant arrivé à la BPU alors que notre édition était déjà en cours - qui m'ont permis de comprendre certaines allusions à des épisodes de la vie genevoise rapportés par Amiel, ou de préciser la nature des relations entre certains protagonistes ou des groupes de son entourage.
Enfin, l'apport le plus précieux, l'auxiliaire éclairant et parfois révélateur, fut la vaste correspondance conservée à la BPU, émanant aussi bien d'Amiel que de ses amis et relations.

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Quant aux citations qui émaillent le Journal, elles ont demandé souvent un long travail d'identification. Nous avons pris le parti de les prendre toutes en considération, même les plus connues, dans l'idée que des lecteurs étrangers ne disposeraient peut-être pas des mêmes références que ceux qui sont de culture francophone.
Dans le cas où Amiel en indiquait l'auteur, il fallait encore donner le titre et l'endroit exacts de l'œuvre d'où le passage était extrait, passage qui se réduisait parfois à un membre de phrase. Si l'énoncé, écrit de mémoire, en avait été légèrement altéré par Amiel, il était nécessaire de rétablir le texte original dans la note.
Lorsque le nom de l'auteur n'est pas donné, le champ des recherches est vaste. Si après avoir fait appel à un fond commun de citations "classiques", dont chacun possède en mémoire un répertoire petit ou grand, on n'a pas encore identifié la citation, on peut examiner le vocabulaire, la grammaire, la métrique s'il s'agit d'un ou de plusieurs vers, afin de déterminer le siècle dans lequel ce fragment a été écrit, en cerner le ton, le vocabulaire, le langage, pour essayer d'en deviner le ou les auteurs possibles, puis l'œuvre dans laquelle on a le plus de chances de trouver ce fragment, et ainsi de suite par éliminations successives.
Lorsqu'on se trouve en présence d'un vers, ou mieux, de deux, ou même de quatre vers, la tâche est simplifiée car on peut alors parcourir l'œuvre où l'on espère les rencontrer en ne lisant que les rimes. C'est rapide, mais frustrant; au bout d'un certain temps de ce travail mécanique et ingrat, l'attention peut baisser, et la rime passer sous vos yeux sans vous interpeller... Ces lectures durent parfois longtemps, et il est difficile de savoir à quel moment renoncer à chercher plus avant. Très souvent, j'ai continué ces recherches durant mes loisirs, ce qui n'était pas sans charme, car il m'a été donné ainsi de découvrir ou de relire avec d'autres yeux une quantité d'œuvres auxquelles je ne me serais peut-être pas intéressée spontanément. Il est évident également que de connaître le contenu des lectures d'Amiel était un moyen de mieux comprendre son Journal et sa vision du monde.

Si toutes ces tentatives d'identification échouaient, il me restait encore la ressource de mettre à contribution mon entourage, amis ou parents, qui m'ont plus d'une fois apporté la référence ou le renseignement désirés. Des spécialistes des littératures européennes anciennes et modernes, en histoire, en théologie, ainsi que des parents, des amis à Genève et à l'étranger, m'ont ainsi très obligeamment éclairée de leurs lumières dans tous les domaines imaginables.
Heureusement, les citations d'auteurs classiques lus et étudiés au cours de sa scolarité sont fréquentes chez Amiel; chacun sait que les sujets mémorisés durant la jeunesse restent longtemps à l'esprit, et se comptent en nombre limité, devenant ainsi facilement identifiables. Nous connaissons aussi, du moins en partie, le contenu de la bibliothèque d'Amiel; mais celle-là ne lui fournissait qu'un petit nombre de ses lectures. Il commandait régulièrement des ouvrages en Allemagne, qu'il ne pouvait trouver dans les bibliothèques publiques genevoises.
Amiel cite aussi des extraits d'articles, copiés dans des revues ou des ouvrages. Comme il donne la liste de ses lectures quotidiennes dans son Journal, on peut y rechercher ces passages. Lorsqu'il s'agit d'un article, reste encore à trouver dans quelle revue et à quelle date a été publié l'article en question; cela comporte certaines difficultés, car il les lisait souvent bien après leur parution, plusieurs semaines, plusieurs mois, voire des années plus tard; il semble qu'il les empruntait soit à un cabinet de lecture, soit à des amis.

En dehors des citations, je recherchais tout ouvrage ou article mentionné dans le Journal et je les lisais ou les parcourais. S'il ne figurait pas dans les collections de la BPU, celles de la Société de Lecture, de la bibliothèque du Conservatoire de musique, ou celle du Musée d'Art et d'Histoire de Genève, je le réclamais par l'intermédiaire du prêt inter-bibliothèques, ou je faisais à l'occasion des incursions à la Bibliothèque de l'Université de Lausanne, ou à la Bibliothèque et aux Archives nationales à Berne. Cela m'a fait connaître l'étendue des intérêts et de la curiosité d'Amiel, non seulement pour la littérature, la philosophie ou l'histoire, mais également, et dans une large mesure, pour les découvertes scientifiques et les inventions qui foisonnèrent durant le XIXe siècle en Europe et en Amérique du Nord, ainsi que pour les découvertes que firent à cette époque de nombreux voyageurs. Les principaux journaux et revues parcourus régulièrement par Amiel étaient, outre le Journal de Genève, le Journal des Débats et le Temps, la Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris, la Bibliothèque Universelle, la Revue britannique, etc., etc.

Je transmettais mon travail cahier après cahier à Philippe Monnier afin qu'il donnât son avis sur l'annotation, pour éventuellement ajouter, compléter ou retrancher une note.

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La relecture

Une fois le texte corrigé, je transcrivais les corrections et les appels de notes sur une seconde photocopie du dactylogramme ; cette dernière était collationnée à son tour avec le manuscrit, selon le même procédé qu'à la première lecture, ce qui permettait de découvrir encore d'éventuelles divergences.
Les notes, dactylographiées, étaient jointes au texte corrigé et le tout envoyé aux éditions de l'Âge d'Homme, qui se chargeaient des relations avec les compositeurs d'abord, puis l'imprimeur.

Je rédigeais la Chronologie synoptique commencée par Pierre Dido, au moyen de chronologies déjà existantes, d'ouvrages historiques, et des notes que j'avais prises sur les événements de la vie d'Amiel à retenir. Les données fournies par les différents ouvrages ne concordaient pas toujours, ce qui demandait un nouveau travail de recherche afin de donner des indications aussi exactes que possible.
Plusieurs spécialistes m'ont aidée et ont passé du temps à vérifier mes notes et les traductions qu'elles comportent parfois, ainsi que la chronologie synoptique.

Lorsque les premières épreuves arrivaient de l'imprimerie, munies déjà des titres courants, et de la pagination, nous les collationnions à nouveau avec le manuscrit, j'y notais les corrections à faire, elles étaient ensuite renvoyées à l'imprimerie.
Plus tard arrivait une deuxième série d'épreuves, nous en relisions chacun de notre côté un exemplaire, je vérifiais qu'elles comportassent toutes les corrections que nous avions indiquées sur les premières épreuves, puis nous comparions et complétions les corrections que chacun avait ajoutées, avant de renvoyer les épreuves à l'imprimeur.

Les troisièmes et dernières épreuves ne contenant en principe plus d'erreurs, nous les relisions chacun séparément en soulignant en diverses couleurs les noms que nous voulions faire figurer dans les différents index (Noms de personnes fréquemment cités, Noms de lieux, Index général), puis nous les comparions avec les précédentes épreuves pour vérifier que les corrections avaient été reportées correctement, et que les notes étaient en place.
Le professeur Bernard Gagnebin en prenait ensuite connaissance et suggérait éventuellement quelque adjonction ou amélioration dans les notes.

Enfin, plusieurs jours étaient consacrés à reporter dans un fichier préparé d'avance les occurrences des noms que nous avions retenus pour l'index..

Le texte corrigé, annoté, indexé, lu neuf fois en entier par deux personnes, auquel s'ajoutaient les différentes annexes, était alors prêt à être imprimé.

A la fin des douze volumes, nous avons consacré chacun plusieurs mois à compléter l'index thématique portant sur l'ensemble du Journal, qui avait été commencé par Daniel Ryser, qui fut malheureusement interrompu par son état de santé.

Cette expérience de longue durée ne fut jamais lassante, nous nous réjouissions chaque jour de découvrir la suite du Journal qui nous réservait des émotions, des coups de théâtre, des révélations, et bien des connaissances nouvelles, avec, en plus, l'humour d'Amiel.

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Anne Cottier. 5 juillet 1999