Retour vers Etudes et travaux
Louis Vannieuwenborgh

 

 

LE

SYSTEME DE DEFENSE

D'AMIEL

 

16 février 2003

 

 

 

 

 

Avertissement

 

 

 

Les pages qui suivent résument une étude faite en 1994. Destinées aux Lectures publiques, elles ont été lues lors de la séance du mercredi 19 décembre 2001 à La Galerie, Genève.

 

L'étude complète sera mise sur site prochainement.

 

 

 

 

 

LE SYSTEME DE DEFENSE D'AMIEL

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

Ma passion pour le Journal intime d'Amiel a suscité cette étude. Le jaillissement d'informations qu'il contient sur lui-même, sa famille, ses amis et la société genevoise, donne une impression de transparence, de netteté visuelle. Approcher Amiel dans sa vérité intime et sociale semble possible : il suffit de le lire. Certes, mais l'abondance même des informations contenues dans les 17.000 pages de son journal fait écran. Il faut donc inventorier ce flux, il faut en démêler les composants afin de dégager les lignes de force éventuelles qui échapperaient à une lecture suivie. Amiel y avait déjà songé. Vers la fin de sa vie, il note dans son Journal :

 

            Relu ce cahier. Peut-être y a-t-il une ou plusieurs constantes dans ces variations quotidiennes de la pensée ou du sentiment : ceci sera à dégager plus tard. (23 mars 1879)

 

La masse considérable du Journal s'opposant à un dépouillement complet, on peut penser que la période couverte par un seul volume de l'édition intégrale constitue un échantillon représentatif. Le volume 10, le dernier paru au moment où cette étude a été entreprise, sert de référence principale. Il se rapporte à la période allant de juin 1874 à mars 1877. Amiel avait alors entre 52 et 55 ans.

 

Cent cinquante sujets, thèmes et portraits ont été dégagés; des centaines d'extraits caractéristiques ont été recopiés et répartis en quelques dizaines de catégories. L'une d'entre elles, qui regroupait des citations choisies en fonction de la clarté qu'elles apportaient sur un point précis de son comportement et de son caractère, s'est révélé particulièrement féconde.

 

En s'attachant uniquement aux extraits se rapportant à sa personnalité, et en les disposant selon un ordre de cause à effet, on obtenait, non pas un relevé juxtaposant ses particularités psychologiques, mais un ensemble cohérent de lignes de force interagissantes. La découverte de cette piste nouvelle a éclipsé le travail d'inventaire qui a été reporté à d'autres temps.

 

Cet ensemble cohérent sera appelé ici le système de défense d'Amiel. Il structure, à mon sentiment, sa personnalité dans sa globalité. Précisons qu'il résulte de l'observation et qu'il ne constituait pas une hypothèse de départ.

 

Le système de défense d'Amiel peut être décrit comme suit :

 

Un noyau central élève un interdit à la réalisation de ses désirs, de ses passions et de ses ambitions dans le domaine social. Le monde, c'est-à-dire la société, le mariage, la carrière, constitue un territoire où la lutte lui est interdite. Son comportement sera adapté à cette interdiction majeure : il refusera la compétition sociale d'une manière absolue. Ce refus va remonter jusqu'à la source de ses désirs, que sa vie durant il étouffera. Sa stratégie défensive de non-compétition utilisera ses moyens intellectuels, notamment ses facultés d'analyse et de critique. Il tentera de situer ses relations avec les autres sur le terrain moral de la justice et de la réciprocité.

 

Le domaine social lui étant interdit, c'est dans les marges qu'il pourra s'affirmer et exister : non pas dans les travaux universitaires ou philosophiques mais dans des recueils de poésie; non pas dans le mariage, mais dans des amitiés féminines. C'est de la même manière que ses goûts de lutte et de domination ne s'exerceront que dans le jeu et dans un contexte qui ne lui est pas interdit, celui de la société des vacanciers. Son système de défense l'a réduit à l'intime : on sait la place du Journal dans sa vie.

 

Cette attitude générale défensive lui assure la protection qu'il recherche et il en retire parfois des moments d'équilibre et de sérénité. Les domaines à neutraliser portent toutefois sur des aspects essentiels de la vie. Par son efficacité même, sa stratégie entre en contradiction avec un besoin de sociabilité vivace. La désinsertion sociale graduelle vécue par Amiel le fait souvent souffrir de la solitude à un point tel qu'on pourrait parler de la faillite de son système de défense par excès. Nous terminerons en posant la question de savoir s'il n'existe pas un facteur aggravant à rechercher dans une tendance héréditaire au suicide.

 

 

 

 

 

 

 

 

LE SYSTEME DE DEFENSE

 

L'INTERDICTION, COEUR DU SYSTEME DE DEFENSE D'AMIEL

 

 

 

Un noyau central composé d'interdictions élève une barrière entre ses désirs, ses aspirations, ses intérêts et la société, le mariage, la carrière. Sa place parmi les autres lui a été comme interdite. Amiel, sa vie durant, respectera cette interdiction. Tous les aspects de sa personnalité s'articuleront et se développeront en fonction de cette interdiction majeure.

           

            Je suis ensorcelé, mis à l'interdit, privé de cette humble quantité de foi qui permet de vouloir une chose quelconque (26.8.1875)

 

            Nouement singulier de l'esprit devant le devoir, le bon sens et la nécessité. Toute la journée, il m'a été comme interdit, comme impossible de m'occuper de ma leçon de demain. (8.11.1876)

 

            Je n'ai pas vaincu l'ensorcellement qui me rend tabou toute occupation ou entreprise nouvelle. (23.10.79)

 

Amiel situe l'origine de ses problèmes durant l'enfance :

 

            Cette impossibilité d'espérer a quelque chose d'étrange. Je suppose qu'elle provient de déceptions précoces, de froissements remontant jusqu'à l'enfance. (5.8.1875)

 

Le père d'Amiel, par son comportement autoritaire ne l'a pas encouragé, ni armé, pour affronter la réalité sociale.

 

            Nature aimante et craintive, j'ai été ravagé par les premières désillusions, qu'un père imprudent semait comme à plaisir dans mon âme enfantine. (5.8.1875)

 

Face au monde des adultes, à la société, il s'est senti abandonné, seul et sans appui. Sans conseil sur la légitimité, l'expression et la réalisation de ses désirs, de ses passions, de ses ambitions.

 

            [bonheurs auxquels] j'ai autrefois rêvé : un foyer, un cercle, un logement de mon goût, une santé solide, la paix, la considération, la renommée. (29.7.1876)

 

            J'ai eu jadis la secrète ambition de tout éprouver, c'est-à-dire toutes les puissances. (26.8.1875)

 

Quel va être le comportement d'Amiel, passionnément désireux de se faire une place dans la société, de se marier, de frayer avec les autres, voire de les dominer, alors que les voies qui mènent à la réalisation de ses désirs lui sont interdites, et qu'il ne se sent ni autorisé ni aidé à pénétrer dans ces domaines? Son attitude sera essentiellement défensive :

 

            Nous n'avons pas besoin de chercher le monde, car il vient à nous tout seul; c'est la défensive qui est plus malaisée. (12.7.1876)

 

            La vie m'apparaît comme une fastidieuse défensive, avec quelques trêves charmantes. (22.11.1875)

 

            On m'a contraint à la défensive perpétuelle. (8.7.1876)

 

            L'instinct préside à cette défensive. (12.4.80)

 

 

 

 

 

TROIS LIGNES DE FORCE, TROIS ATTITUDES DE BASE

 

STRUCTURENT SA STRATEGIE DEFENSIVE.

 

PREMIEREMENT, LE REFUS DU DESIR.

 

DEUXIEMEMENT, LE REFUS DE LA COMPETITION SOCIALE.

 

TROISIEMEMENT, LE CHOIX DU TERRAIN DANS SES RAPPORTS AVEC LES AUTRES.

 

 

Sa stratégie défensive s'est développée de manière instinctive; elle est faite à la fois de travail sur ses désirs, de comportements d'évitement et de tentatives d'amener les autres sur le terrain où il se sent plus à l'aise, voire en position de force.

 

Cette attitude générale s'exerce dans plusieurs directions. La plus radicale est celle qui tend à arracher en lui le désir, source d'action :

 

            Je me défends par la suppression du désir. (8.6.1875)

 

            Tout désir trompe. (1.12.1875)

 

            Désirer c'est s'exposer à la souffrance. (22.7.1876)

 

            Perdre un désir, c'est s'enrichir. (11.5.1877)

 

Etouffer ses passions le protège des tentations extérieures.

 

            Je n'ose pas m'avouer ce que je désirerais. En ne voulant rien, je ne permets ni au monde de me torturer par ses refus et ses ironies, ni à mon coeur de me troubler par ses soupirs. Qui ne veut rien se défend. (9.6.1877)

 

Il en va de même dans le domaine de la sexualité. En l'instinct sexuel, il voit une machination de la Nature qui emporte la raison et mène à la folie :

 

            Le rut est une folie momentanée, le tétanos du sixième sens compromettant dans sa frénésie le cerveau tout entier, la volonté, la raison, la conscience même. [...] Sitôt que l'être moral est engourdi par les fumées capiteuses du breuvage, que reste-t-il? une action chimique, deux éléments précipités l'un sur l'autre par une affinité aveugle. Il n'y a plus ni soeurs ni frères, ni père ni filles. Il y a des ardeurs complémentaires qui se cherchent, comme l'acide cherche sa base. Le sigma et l'oméga se rencontrent, se soudent et la syllabe mystérieuse d'Isis, l'éternel monogramme de la nature est tracé. Quand vient le jour, quand l'ivresse est passée, quand les individus reprennent des noms et des rangs, il y a des regrets, des effrois, des remords, il y eu inceste, ou crime. Dans le chaos et l'orage nocturnes, il n'y a eu que des sexes et oeuvre de chair [...] ceci est antérieur à la réflexion, à la volonté, au devoir, à la forme humaine de la vie. (19.8.1876).

 

La deuxième ligne de force de sa stratégie de défense consiste à refuser toute compétition, toute affirmation sociale de soi :

 

            D'ailleurs je ne me pique de rien, je suis tout à fait détaché de ma toge et de mes travaux. Tout cela m'est indifférent, étranger, inférieur. Je ne sais ni ne veux ni ne puis me faire valoir, me mettre en relief, en imposer, gagner, entraîner. (26.2.1876)

 

Son système de défense le protège du monde, et le monde c'est les autres. Il y a pourtant chez Amiel un besoin de présence, de contacts, de sociabilité.

 

La compétition, la lutte, l'affirmation de soi lui étant interdites, il va tenter de se placer sur le terrain de la justice et de la réciprocité. Il s'agit d'une voie non-compétitive qui mènera, espère-t-il instinctivement, les autres à le reconnaître. Ce qui lui permettra, de surcroît, de les maintenir à la distance qui lui convient.

 

            Tu as aidé les autres à vivre selon leur tendance et leur nature propres; tu leur as volontiers rendu justice et témoignage. La réciproque a été si rare qu'elle est presque négligeable. (11.4.1875)

 

            Avec cette morgue incurable [de l'aristocratie genevoise] il ne faut pas se départir de la froideur indifférente et même un peu hautaine, et ne jamais sortir de la stricte réciprocité. (13.3.1876)

 

            Eugène Rambert a paru dans la galerie, puis m'apercevant s'est retiré [...] Il a bien fait, car la série de ses impolitesses me lasse, et je n'ai plus rien à lui dire, jusqu'à ce qu'il lui plaise de se résigner à la réciprocité. (1.10.1876)

 

 

                        Quel est le comportement d'Amiel envers les autres?

 

Il s'est expliqué nettement à ce sujet :

 

            L'espoir de réciprocité est une erreur ingénue de ma part [...] Suivi d'instinct un [...] principe : donner l'exemple, me mettre en avance de bons procédés, prendre barre sur le prochain, me faire son créancier plutôt que son débiteur, lui laisser les torts s'il doit y avoir des torts. Au fond, c'est là que j'en reviens toujours, après les soubresauts de l'indignation que me cause l'injustice. Cette méthode satisfait la fierté qui s'accommode du rôle généreux et magnanime. (25.7.1876)

 

La réciprocité signifie le libre choix du terrain. Il voudrait que les rapports entre les personnes soient basés sur la raison pure :

 

            Mon erreur quasi incurable dans la pratique est de croire aux gens un esprit ouvert, impartial, intelligent, désintéressé qui entend clairement ce que je dis et dans le sens où je le dis. En réalité, il n'en est rien. (5.12.1876)

 

Il veut ainsi se placer sur le terrain de l'argumentation logique, où il se sent en position de force :

 

            J'ai compris que j'avais été naïf et imprudent, traitant la question en elle-même sans tenir compte des susceptibilités de l'interlocuteur [...] D'ailleurs la contradiction m'émoustille trop. (22.1.1875)

 

Ses rapports avec ses amies reposent également sur une réciprocité minutieusement calculée qui s'attache non seulement aux services rendus mais aussi aux sentiments.

 

            [Il s'interroge sur ses relations avec son amie Berthe Vadier, sa filleule littéraire] Mais est-il vrai que je risque de devenir nécessaire, indispensable, à ma filleule? Jusqu'ici je me mettais au point de vue de la réciprocité des services et des sentiments, de la clairvoyance respective et de l'indépendance que donne l'âge. Peut-être ai-je trop fermé les yeux sur la différence des sexes, [...] Ne serait-il pas ridicule de se croire incendiaire à 54 ans, et de croire sans expérience une femme de lettres qui a dépassé le septième lustre et analysé tous les sentiments? [...] La bonne volonté mutuelle est donc l'essence et la cause de cette liaison, qui ne subsiste point par elle-même. La liberté réciproque est donc entière. (24.4.1876)

 

Le refus de la compétition, le recours à la réciprocité déterminent un besoin d'acceptation gratuite qui se traduit par une attente de bons procédés.

 

            Espérer du prochain, même de ses disciples, de la gratitude, de la déférence, des égards, de la mémoire, c'est naïveté. [...] le rapport de libre considération et de mutuels égards ne leur convient pas (18.10.1876)

 

            A Genève, en public, on vilipende volontiers, mais on ne rend pas témoignage et hommage. Du moins avec moi il en est ainsi. (4.11.1876)

 

Ce besoin se marque également avec ses amis, ici, avec Marc Monnier.

 

            Mais ce qui rend nos rapports difficiles, c'est qu'il entend n'être pas tenu aux réciprocités d'avances, d'égards, de correspondance, de visites, de félicitations. (24.2.1878)

 

L'interdiction de la compétition sociale place ses rapports avec les autres sur le mode de la triade orgueil/timidité/renoncement.

 

            Combattre sans vaincre, faire les frais d'un désir pour subir un refus, cela n'est pas dans mes cordes. Je me refuse à dépendre. Je ne veux pas être abaissé. [...] Cela veut dire que mon orgueil égale ma timidité. (12.10.1876)

 

Sa fierté, sur laquelle il revient souvent, et dans laquelle il voit une cause de son comportement, lui cache en réalité son système de défense, dont elle n'est qu'une modalité :

 

            L'orgueil inextirpable se retrouve au fond de l'abnégation apparente, l'orgueil qui ne veut pas être humilié, et qui pour ne pas donner prise au destin sur lui arrache en soi le désir même, jette tout ce qu'on pourrait encore lui enlever, prend l'avance sur le dépouillement prévu, et se mutile avant qu'on lui refuse la volupté. (29.8.1876)

 

 

                        Comment Amiel voit-il les autres?

 

Il les devine a priori hostiles :

 

            Dans ce pays de gens hargneux ou grossiers [...] la prudence consiste à tenir tout le monde à distance et en respect, tout en ayant l'air débonnaire et modeste. (5.7.1876) 

 

            En regardant les gens demande-toi quelle est bien la peine qu'ils pourront t'infliger, [...] car ce sont tes futurs tourmenteurs. (30.1.1877)

 

Il les sent comme un obstacle :

 

            Ton goût naturel serait de ne pas t'embarrasser du milieu humain, que tu crois peu éducable, assez mauvais et fort incliné à l'erreur. (29.8.1876)

 

            Les obstacles vivants irritent. (5.3.1876)

 

Et l'irritation peut aller jusqu'à regretter de ne pouvoir user de violence :

 

            Avec ce que je dédaigne je voudrais plutôt écraser que ruser. (5.3.1876)

 

Mais :

 

            Qui se fâche donne barre au prochain. (21.1.1877)

 

 

                        Comment les autres voient-ils Amiel?

 

Le Journal, par sa nature même, contient peu de témoignages directs sur Amiel. Ceux-ci en sont d'autant plus révélateurs.  Un passage d'une lettre de son amie Fanny Mercier, recopié par Amiel dans son Journal, montre qu'un froissement dont l'amie n'entrevoit pas la cause, engendre rapidement un recul.

 

            Billet de [Fanny Mercier] - ­« Saint Christophe est en son âme l'ami le meilleur qu'on puisse souhaiter, mais, destin bizarre et cruel, quelquefois une cuirasse l'enveloppe, la visière de son casque se baisse : impossible de le reconnaître. Ses fidèles, interdits, peinés, doutant de son identité se tiennent à l'écart, muets et tristes. Un jour, un beau jour, il relève sa visière, il écarte sa cuirasse; ah c'est lui, c'est bien lui. Et les fidèles d'accourir... O Saint Christophe si bienveillant et si secourable, pourquoi vous barder de fer? - Pour résister aux attaques du monde méchant et moqueur. - Sans doute; mais vos fidèles ne sont pas du monde. ­» (18.12.1875)

 

Cette attitude le fait ressembler à ceux en qui il voit l'origine de sa mise à l'écart :

 

            Eugène Secrétan me dit très genevois. (26.3.1876)

 

Nous venons de voir que la stratégie défensive d'Amiel s'ordonne selon le refus du désir et le refus de la compétition sociale. Il tente de s'affirmer en situant ses rapports avec les autres sur le terrain non-compétitif fait de réciprocité et de justice.

 

Voyons à présent le rôle de la pensée d'Amiel au sein de son système de défense.

 

 

 

 

 

 

 

INTEGRATION

DES RESSOURCES INTELLECTUELLES

AU SYSTEME DE DEFENSE

 

 

 

Amiel n'a sans doute vécu que par la pensée. "Ma tendance naturelle est de tout convertir en pensée. (9.9.1880) "Penser ne m'ennuie jamais, agir presque toujours." (18.9.1876) Les formes et les domaines dans lesquels sa pensée s'est exercée résultent directement de son système de défense et s'y intègrent en le renforçant.

 

Penser, c'est-à-dire rêver, lire, étudier, s'impersonnaliser dans les choses et les gens, flotter dans l'indétermination, se métamorphoser intérieurement, psychologiser. Mais non se complaire dans le vague, tout passe au crible de son esprit critique et d'analyse.

 

 

LA LECTURE, L'ETUDE sont un goût, mais aussi une défense :

 

             A vrai dire, si je ne me grise pas de lecture ou de travail, [...] je vais être remordu par tous mes vieux serpents. (26.10.1876) L'étude n'a guère été pour moi que la remplaçante du bonheur; l'intelligence a été chargée de me distraire des vides de l'âme. (19.8.1876)

 

 

LA RÊVERIE est un substitut de l'action.

 

            Quelle effroyable consommation de pensées vaines, de projets qui n'ont pas abouti! J'ai toujours rêvé la vie, et la contemplation m'a tenu lieu de l'action. (23.5.1875)

 

 

L'IMPERSONNALITE, facette originale de la psychologie d'Amiel, lui permet de s'abstraire de ses besoins propres, de ses désirs. Elle constitue un élément essentiel de sa défense intellectuelle.

            Cet ardent besoin d'impersonnalité, cet instinct du non-être, du non-être individuel, est bien ma tendance radicale, car elle revient toujours. (5.8.1874)

 

            L'impersonnalité est ma tendance ancienne [...] Comprendre toutes les existences et toutes les formes de l'activité humaine m'a été plus cher que d'en réaliser une [...] Je n'ai jamais su épouser, pas plus un rôle, un parti, une idée, un projet, qu'une femme [...]  (19.12.1874)

 

            L'impersonnalité t'attire davantage parce qu'elle est un étourdissement, elle dispense de se résigner [...] de combattre [...] de vouloir. [...] ouvrir le gouffre de l'insatiable désir, me fait peur depuis longtemps. (12.12.1874)

 

 

L'INDETERMINATION se conjugue avec l'impersonnalité.

 

            Je ne suis que possible, résorbé, implicite, comme une force retournée à l'état latent. Je ne suis qu'une capacité indéterminée et non un talent établi, prouvé, en exercice et en fonction. (16.4.1876)

 

Se métamorphoser par la pensée constitue le versant actif de l'impersonnalité et de l'indétermination. Mais la finalité de ce que Amiel nommait son protéisme, reste défensive.

           

            Comprendre l'homme dans ses variétés, en répétant toutes les figures et tous les modes de la vie humaine, c'est peut-être la tendance fondamentale qui a traversé tes divers âges [...] Tu contiens les autres et tu n'en es pas contenu. (17.3.1876)

 

L'examen impersonnel trouve son terrain d'élection dans l'analyse psychologique.

 

            Ai-je une aptitude hors ligne? ne serait-ce pas la sagacité psychologique, l'intuition du dedans des êtres? J'ai au moins le sentiment vif, net, profond des naturels divers, et la perception de leurs limites. - Ce don est fortifié par mon impersonnalité facile, par mon besoin d'objectivité réelle. (15.9.1876)

 

L'exercice de cette aptitude n'est pas gratuit : nous sommes ici au centre positif de son système de défense, à l'endroit où il s'appuie sur une habileté ressentie comme exceptionnelle et où il l'utilise pour non seulement se protéger du monde, mais aussi, par un retournement victorieux, le dominer.

 

            Si l'histoire de l'esprit et de la conscience est la moelle même et l'essence de l'être, alors être acculé à la psychologie, même à la psychologie personnelle, n'est pas sortir de la question, c'est être dans le sujet, au centre du drame universel. [...] Tout le mouvement de l'univers n'est que matière pour la pensée. L'esprit cherche donc à s'en isoler pour se le soumettre. (12.7.1876)

 

Les composantes de la pensée d'Amiel font donc partie de son système de défense. Elles constituent des armes défensives mais aussi des points d'appui à partir desquels une affirmation de soi et une domination — encore que toute intellectuelle — du monde et des autres restent possible.

 

Pénétrons maintenant dans l'étroit préau qui ne lui demeure pas interdit.

 

 

 

 

 

LE DOMAINE AUTORISE

 

 

Quels territoires, quels champs d'action lui restent accessibles, si le domaine officiel, académique, public, lui est interdit? Essentiellement les marges. Non pas le mariage, mais les "amouritiés", non pas la société, mais les sociétés de vacanciers, non pas la production académique et philosophique, mais la poésie, non pas la compétition sociale, mais le jeu, non pas l'utile, mais l'inutile.

 

 

 

                       

LES AMITIES FEMININES

 

A peine est-il nécessaire d'évoquer les nombreuses figures féminines qui accompagnèrent Amiel au long de sa vie. Le Journal a conservé la trace vivante de leur personnalité et des sentiments qu'elles lui portèrent. Mais si elles furent nombreuses, elles resteront discrètes. Ces liaisons seront cruelles pour ces femmes qui pénétrèrent dans l'intimité d'Amiel. Il se laissa aimer, mais son esprit critique fut plus fort que ses désirs et ses sentiments.

 

            J'ai vécu dans l'intimité féminine depuis ma vingtième année, et lu dans je ne sais combien de coeurs, qui se sont confiés, ouverts ou donnés à moi. Mais je puis me rendre le témoignage, que je les ai eus comme ne les ayant pas [...]  Ma tendresse a été désintéressée, et l'égoïsme passionné n'y a pas tenu de place. J'ai été aimant, non épris; sympathique non enchaîné, l'ami délicat des femmes plutôt que leur amoureux, leur esclave ou leur tyran. L'enivrement fou ne m'était pas impossible, mais il m'a été épargné. Il m'eût fallu pour cela rencontrer mon idéal, l'idéal peut-être. La tendresse cordiale et dévouée m'a largement suffi. (10.10.1876)

 

Amiel s'intégrait avec bonheur et tendait même à devenir le centre de sociétés de vacanciers. La barrière qui le sépare des autres se lève :

 

            A table, j'ai la chance d'être près d'un étranger intéressant [...] Il m'a raconté toute sa vie et nous avons fraternisé, trinqué, jasé avec élan. (28.7.1874)

 

Pareil abandon eût été impensable à Genève.

 

Amiel était conscient de la disparité de ses capacités selon qu'elles s'appliquent à sa vie ou au jeu.  Comme on joue aux échecs savoir jouer sa vie... (Penseroso),  souhaitait-il.

 

Son agressivité se libère dans les limites de l'échiquier. Il prend plaisir à dominer l'adversaire.

 

            J'ai réellement bien joué, le jeu serré, à la fois défensif et hardi, qui ne livre rien et qui attaque, la partie à la prussienne. (5.8.1875)

 

            L'intérêt que je trouve aux jeux de combinaison est [...] l'expérimentation psychologique [...] il faut deviner l'espèce d'erreurs que l'adversaire commettra et l'étendue des imprudences qu'on peut risquer impunément avec tel individu donné [...] il faut deviner sa méthode inconsciente, son illusion probable, la dose de sa pénétration, la nature des pièges qui le prendront; il faut le dominer par la clairvoyance. (11.2.1877)

 

Le jeu, mais la poésie aussi est une activité admise par son système de défense. Alors que son entourage le tient pour un philosophe, il s'obstine à ne publier que de minces recueils de poésies. Elles présentent cependant cet avantage, aux yeux d'Amiel, de le faire connaître d'une manière indirecte. Les thèmes du Journal sont repris dans ses poèmes, dont la diffusion ne lui est pas interdite intérieurement.

 

            J'ai des centaines et des milliers de pensées rimées dans le genre de celle-ci. C'est mon journal du parvis, communicable aux profanes. (29.12.1876)

 

Mais de tous les modes de communication avec autrui, Amiel privilégie la correspondance. Moyen indirect de toucher l'autre, elle permet la sauvegarde de sa liberté. Au soir de sa vie, il dénombrera trente mille lettres envoyées.

 

            Je n'écris avec fougue et plaisir que les lettres; je dois en avoir tracé des centaines de bonnes. (21.12.1873)

 

Voyons à présent les marges intérieures, sa vie intime. C'est ici qu'apparaît, démesurément grossi par le malaise dû à son retrait de la vie publique, son fameux Journal. Sa rédaction participe activement à son système de défense. Sa fonction essentielle est d'aider au retour à l'équilibre intérieur. Il possède une vertu médicatrice, dit-il (8.9.79). Si l'on ôtait du Journal tout ce qui concerne les froissements dans ses relations avec autrui, il fondrait de plus des trois quarts.

 

            Je préfère ignorer les gens que les quereller et les combattre. [...] Si, par hasard, je me sens de l'aigreur, quatre, cinq, dix ou vingt plumées d'encre et mon journal intime suffisent à la dissiper. Elle s'écoule en soliloque, ce qui ne fait de mal à personne et me rend l'équilibre intérieur. (21.1.1877)

 

Son Journal est donc l'instrument privilégié dans sa lutte pour le retour à l'équilibre. Un exemple frappant en est donné au 7 juillet 1876, suite à l'irritation causée par un manque d'égards manifesté par son ami Marc Monnier. Afin de retrouver le calme, Amiel se tourne à quatre reprises vers son Journal : déjà à 5 h 1/2 du matin! puis à 7 h, à 8 h 1/2, et, une dernière fois encore, à 9 h.

 

Le Journal l'aide également à compenser le sentiment d'interdiction et l'impression de ne pas se sentir guidé, qui sont à l'origine de son système de défense :

 

            La réflexion sur un parti à prendre m'ennuie tellement que je ne la fais pas bien tout seul. Il faut que j'en cause avec un ami, ou du moins la plume en main. (10.10.1876)

 

Le Journal aurait ainsi un rôle de substitution, de compensation. Mais aussi, plus classiquement, de confident privilégié.

 

            Je n'ai pas eu d'autres confidentes, [que Berthe Vadier et Fanny Mercier] sauf ce journal, bien autrement informé qu'elles, parce que lui peut tout entendre. (12.4.76)

 

Il est également un substitut du travail utile et une défense contre l'engourdissement intellectuel :

 

            Une manière de rêver, et par conséquent de flâner. C'est de l'oisiveté occupée, une récréation qui simule le travail. [...] A quoi me sert cet interminable soliloque? à penser et à écrire ou plutôt à défendre d'engourdissement complet la faculté de réflexion et d'expression. (24.7.1876)

 

Cette remarque sur sa faculté d'expression peut être rapprochée de certaines particularités de son style. Celui-ci est littéraire, métaphorique et, paradoxalement, par son recours constant à la série de synonymes, à la recherche de la formule, qu'il trouve souvent d'ailleurs.

 

Ce qui mérite de retenir également l'attention, c'est le rythme de la phrase. Elle prend, dans les moments les plus saisissants de l'introspection, une allure rythmée. Les vers blancs y abondent. La citation suivante se termine par un alexandrin :

 

            Nature aimante et craintive, j'ai été ravagé par les premières désillusions, qu'un père imprudent / semait comme à plaisir dans mon âme enfantine. (5.8.1875)

 

Voici un autre exemple, construit sur une série de rythmes pairs :

 

            De mon observatoire [6] / au moucharaby grillagé, [8] / je vois toute la vallée couverte de vapeurs [12] / qui traînent jusque sur le sol [8] / et s'éraillent aux flancs boisés des monts [10]. (30.7.1874)

 

Ces recherches de l'expression expliquent en partie l'attirance d'Amiel pour son Journal : il se retrouvait dans la matière même de ce qui aurait dû constituer son oeuvre publique, l'écriture.                                  

 

 

 

 

 

CONSEQUENCES DE SON SYSTEME

DE DEFENSE

 

 

Avant d'examiner les conséquences douloureuses subies par Amiel, imputables à son système de défense, ce dernier fonctionne quelquefois à son avantage. Il arrive à Amiel d'être content, équilibré, heureux.

 

            Sentiment de bien-être tout le jour. Lu, pensé, rêvé, sans avoir de but, de tâche, de devoir en vue, sans être harcelé par les décisions à prendre, impersonnellement. (13.8.1874)

 

            J'ai été heureux un demi-mois. (21.9.1874)

 

Si stratégie défensive lui réserve des moments de répit, nous avons vu aussi qu'elle l'éloigne des autres et agit sur ses désirs les plus vitaux. Ses rapports avec ses amis, sa famille, ses concitoyens sont faussés. Son besoin de contacts n'en subsiste pas moins mais sa défensive, par sa cohérence, son efficacité, se retourne contre lui, le fait souffrir et, changeant de sens, devient un piège, supprimant sa liberté intérieure.

 

            Le coeur ne trouve de paix que dans l'amour mutuel; l'indépendance n'est que son pis-aller. [...] L'inadaptation est sans doute un droit, mais elle est un malheur. (14.7.1876)

 

La mise à l'écart de la société, qu'il a organisée lui-même, l'indépendance qu'il a acquise engendrent la souffrance.

 

            La solitude est plus grande que je ne l'eusse désiré. (21.5.1876)

 

            Pas un salon ne m'est ouvert, pas un collègue ne m'invite, pas un ami ne me visite. (16.1.1876)

 

            Jamais un dîner, une soirée, un concert, une fête, une récréation, la rencontre de quelques figures nouvelles, bref un aliment frais. (21.5.1876)

 

Une occasion de réunion se présente-t-elle, le réflexe de retrait l'emporte à nouveau :

 

            Invitation de Henri Bordier. Irai-je? (17.9.1876)

 

Le désir sexuel l'humilie d'autant plus que dans ce domaine son esprit d'analyse et de critique ne lui est d'aucun secours.

 

            Nuit détestable, perte séminale [...] Senti comme une vieillesse subite, comme un arrachement de vie après le spasme nerveux. Dégoût, humiliation, abattement, colère, mélancolie. [...] Pourquoi ce mensonge effronté réussit-il à la millième fois autant qu'à la première? par la ruse de la nature qui efface d'une de ses mains la mémoire en offrant de l'autre la séduction. (15.8.1875)

 

Il est livré à ce qu'il appelle ses fantômes :

                       

            Matinée funèbre. [...] j'ai dû subir tous les assauts de mes démons. Tempête de tristesse, résurrection de tout mon passé qui me persécute et m'accable, impression poignante d'une vie perdue, d'une force tarie, de semailles qui n'ont point levé, d'espérances avortées, de négligences, de fautes, de torts, de sottises sans nombre. Mon coeur était de plomb et des larmes brûlantes ont coulé sur mes joues. Désespoir profond. J'aurais voulu ne pas être. Je voyais autour de moi tous ces livres, je tenais entre mes mains des monceaux de notes, notes et livres témoignant d'années et d'années de labeur, de méditation, d'exploration, et tout cela m'était devenu étranger, tout cela était oublié. Tout ce travail avait été stérile. J'étais abîmé de honte et de douleur. (5.7.1874)

 

Il se sent pris au piège :

 

            Ma liberté est captive; ma force de détermination autonome semble abolie. (26.11.1876)

 

L'horreur de sa situation lui arrache ce cri :

 

            Je ne suis pas ce que je désirerais être [...] (1.8.1875)

 

 

 

 

 

 

LA TENDANCE HEREDITAIRE

AU SUICIDE,

UN FACTEUR AGGRAVANT?

 

 

 

Une question se pose : le caractère sombre d'Amiel a-t-il été aggravé par une tendance héréditaire au suicide? Voici les faits :

 

Le grand-oncle paternel d'Amiel, affecté par la mort de sa femme, mit fin à ses jours en se jetant dans le Rhône en 1790. Le père d'Amiel abrégea sa vie de la même façon et pour le même motif. Le Journal d'Amiel nous apprend que son grand-père maternel s'est suicidé (27.7.1879) Henri, le neveu d'Amiel, après plusieurs tentatives de suicide, a été interné.

 

Les troubles de l'humeur qu'Amiel pourrait avoir héritée de ses ascendants doit nous rendre attentifs à ce qu'il a pu penser du suicide. Amiel note souvent la crainte de l'hypocondrie qui le pousserait à cet acte. Voici l'une de ces notations :

 

            La conscience de soi indifférente m'a presque mis à la porte du monde moral et a fait de moi un dormeur éveillé, un peu rêveur, le rêve étant cet état d'âme où la volonté ne tient plus les rênes [...] Cette habitude est de l'épicurisme pathologique, de la psychologie gourmande, une sorte de découragement qui se féconde lui-même, une variété du suicide. Cela ressemble à un cancer qui s'amuserait à étudier curieusement ses progrès, à une combustion lente qui se regarderait brûler. C'est bien ­« la soif du poison ­», dont parle une de mes poésies, la volupté morbide de la destruction, ou du moins la torpeur indienne qui refuse de se défendre contre la mort. Tout cela dérive de la désespérance chronique. (26.8.1875)

 

Cette tendance, peut-être héréditaire, explique, sans doute, l'assombrissement progressif de son humeur, ses crises de tristesses noires qui le frappent sans raison particulière.

 

Cette évolution n'a pas échappé à son entourage. La lettre de sa soeur Laure du 5 septembre 1868 en fait état :

 

            [...] Tu t'es retiré de nous chaque année toujours plus. Tu n'es plus allé chez Fanny avec affection et abandon, tu n'es plus venu chez moi qu'en passant et en visite. Plus de gaieté, plus d'abandon, plus de causerie, plus d'élan [illisible] Tu es devenu sévère pour toi et pour les autres, économe jusqu'à la lésinerie et à l'avarice pour toi et pour tes vêtements [illisible] pour ce qui concerne les gens de service ou ceux qui vivent de nous en ce monde. Tu as vécu seul, cependant il n'est pas bon que l'homme soit seul, te suffisant à toi-même, ennuyé du monde, ennuyé des étudiants que tu n'aimes guère et qui ne t'aiment pas non plus. Fatigué de tes parents et de tes amis, enfin malade de coeur. Toi qui étais si charmant, si caressant, si causeur, qui [étais si] agréable en société, et quelques fois si heureux! Qui mon Dieu t'a changé ainsi? Il faut qu'une influence délétère ait agi sur toi sans que tu aies eu conscience de l'effet produit; car tu n'es plus toi-même, et si tu pouvais être juge comme ceux qui t'entourent, tu serais étonné du changement qui s'est opéré en toi. Reviens à nous, redeviens ce que tu étais, fuis ces gens odieux qui t'éteignent avec leur vulgaire éteignoir!! je t'en prie mon chéri retourne-toi et vois le passé qui te crie reviens à nous. Nous sommes toujours les mêmes nous, et si tu n'as guère sympathisé avec nos chers maris, je ne sais trop pourquoi? Nos maris Fanny et moi sommes toujours là, te défendant toujours du bec et des ongles et toutes heureuses de te revoir aimable par éclairs, affectueux, gracieux et sympathique comme tu l'étais autrefois. [...]

 

Cet appel pathétique montre le désarroi des proches face au comportement d'Amiel.

 

L'hypothèse d'une composante héréditaire qui a aggravé les problèmes d'Amiel mérite, à mon sens, un examen sérieux.

 

 

 

 

 

CONCLUSIONS

 

 

 

Le but de cette lecture n'était pas de dresser un portrait d'Amiel. Trop d'éléments n'ont pu être abordés. Ce que j'ai tenté de dégager, c'est la structure de sa personnalité, c'est l'influence réciproque de ses répulsions et de ses attirances au sein de ce qui apparaît comme un système dynamique. Pascal nous rappelait que toutes choses sont causées et causantes. Amiel, pour sa part, l'a formulé ainsi :

 

            Les impulsions irréfléchies sont les vrais moteurs de la vie humaine et [...] la moindre part de nos actions est d'accord avec notre moi tout entier. (10.9.1878)

 

Nous voici au terme de l'esquisse du conflit intérieur d'Amiel. Au début de cette étude, j'ai essayé d'isoler les éléments de sa personnalité. Aujourd'hui, celle-ci ne me semble exister que par ce conflit qui la déchire tout en la formant. Ne serions-nous que l'expression de nos problèmes?