....ma première réaction a
été tiède...
J'aime lire des livres en papier et tourner des pages,
j'aime la rangée des douze volumes dont je sais
que je n'arriverai jamais à bout... Lira-t-on
plus, ou mieux, sur écran ?... J'en doute...
Mais s'agit-il de lire, ou de travailler sur le texte ?
Pour travailler, c'est différent, la
numérisation serait un formidable atout.
Les études stylistiques et lexicographiques
feraient un bon en avant terrible - ce serait la voie
royale pour analyser ce maniaque de la synonymie, on
pourrait faire un dictionnaire
époustouflant...
D'autre part on pourrait construire des "parcours de
lecture", à la Claude Mauriac,
une série de liens qui enchaîneraient des
passages et offriraient au lecteur des sortes de "visites
guidées" du journal, dont le parcours pourraient
être renouvelées toutes les semaines,
proposant au lecteur, selon son appétit, une
visite de dix ou de cinquante pages, axée sur tel
thème !
On aurait des morceaux choisis non pas à la place
de l'oeuvre, comme ça se passe maintenant, mais
à l'intérieur de l'oeuvre, ce qui serait
très nouveau !
Là, vous voyez, je commence à
m'échauffer, car il me semble qu'Amiel est le
terrain idéal pour jongler avec
l'hypertexte... Le journal se prête
merveilleusement à ce type de parcours (alors que
ce serait profaner la plupart des oeuvres que de les
désarticuler et réarticuler ainsi) : il y a
là un mode d'"édition" nouveau à
inventer (les parcours eux-mêmes ne seraient pas
linéaires, mais offriraient chaque fois des
fourches, des choix...)...
Et puis mon enthousiasme monte encore d'un cran : sur un
autre plan, la numérisation pourrait
remédier aux insuffisances de l'édition
actuelle : on pourrait réintégrer les
journaux de vacances qu'Amiel avait maintenus à
l'écart, et qui font des trous horribles dans la
trame de son journal...
J'avais été stupéfait que l'idylle
de Glion en 1854 ne soit pas dans le journal... et on
pourrait les réintégrer par des liens sans
rompre le fil de la construction actuelle...
Même chose pour les délibérations
matrimoniales (qui, entre parenthèses, n'ont
jamais été vraiment
éditées,
ce serait peut-être la première chose
à faire, sur papier), on pourrait à la fois
les éditer en continu, et les relier entrée
par entrée au journal...
Et que dire de l'immense, immense correspondance, qui est
encore pour l'essentiel dans les limbes ?...
Mon enthousiasme montant encore, je vois à
l'horizon une oeuvre virtuelle gigantesque dont jamais
Amiel n'aurait pu rêver, un labyrinthe à
laquelle son écriture fragmentaire et
simultanément multiple se prête
merveilleusement, un hyper-Amiel total !...
Dans tous les cas, il ne s'agit pas de simplement
numériser l'édition en douze volumes,
ça manquerait vraiment d'imagination, mais d'en
faire le socle d'une construction beaucoup plus
ambitieuse et qui serait, tout en restant absolument
fidèle à Amiel, une création
totalement originale, sans équivalent.
J'ai déjà rêvé à
l'emploi de l'hypertexte pour éditer un autre
journal, celui de Pierre-Hyacinthe Azaïs (je l'ai
évoqué dans Signes de vie) - en effet, il a
composé un journal dont, en quelque sorte, la
lecture-papier est impossible... Pour lui, il n'y a pas
d'autre solution que l'hypertexte... Amiel est plus
raisonnable, on peut le lire directement à la
suite, sans hypertexte... Mais il est tellement plus
intéressant, intelligent et poète que ce
pauvre Azaïs !... J'arrête, tout cela me monte
à la tête, et je vous souhaite à tous
bon travail, mais ne soyez pas trop... raisonnables.