A MON CHER ONCLE FRÉDÉRIC - 31 décembre 1837

De la Ruche, le 31 décembre 1837.
Mon cher oncle,

Reconnaître dignement ta tendresse et tes bontés, me serait impossible, même pour la moindre partie. Ainsi je dois avouer ma dette et mon insolvabilité ! Mais puis-je me borner à cet aveu ? Non, sans doute. Il faut un témoignage plus ostensible et plus convaincant de ma reconnaissance.
Certes, le plus irrécusable, le seul même qui soit sans réplique, c'est celui de chaque jour ; c'est la déférence habituelle, la serviabilité, la douceur de tous les instants. Mais hélas ! je ne le sais que trop bien, sur ces points-là je suis fort éloigné d'être à l'abri de tout reproche. Je l'ai senti, je le sens, et je le sentirai souvent encore.
Puisque le passé de ma conduite n'est pas plus propre à faire couler sur le présent, que le présent à faire oublier l'avenir, il ne me reste qu'un seul parti à prendre : c'est de te supplier, mon bon oncle, de pardonner à mes écarts et de les oublier, en faveur des efforts que je te promets de faire pour changer.
Que de cette année date, s'il est possible, une ère nouvelle, une espèce de restauration. Oui, que de cette année commence une époque de changement d'état, pour tout et pour tous...
Ce sont-là les voeux bien sincères de ton neveu et pupille affectionné.

H. FRÉD. AMIEL.

Lettres à sa famille, ses amis, ses amies pour servir d'introduction au Journal Intime
avec Préface et Notes par Bernard Bouvier - (1837 - 1849)
Édition LIBRAIRIE STOCK, DELAMAIN ET BOUTELLEAU
- 7, rue du Vieux Colombier à Paris

Bibliothèque publique et universitaire de Genève / Département des manuscrits / Ms 3090 - 7