PREMIER JOURNAL     Du 18 Octobre 1838 au 3 Janvier 1839
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Jeudi 18 Octobre 1838.


Rien fait cette semaine, que courir, et lire quelques romans de G. Sand : Indiana, Léone Léoni, André, la Marquise etc. Mes livres sont en ville et emballés. D'ailleurs peu d'entrain. On vit en l'air, sur les nouvelles, les travaux, les exercices etc.

La semaine passée, travaillé encore moins, sauf quelques lettres; beaucoup couru, d'ici, de-là - commissions pour la maison - embarras de ménage, paquets à transporter, etc. à peu près toute la journée. Nous nous étions momentanément transportés dans l'appartement en face. Nous sommes de retour dans le nôtre, bien heureusement pour moi. Là-bas point de table, de chambre où je pusse me caser. - Cependant j'ai lu Cinq-Mars de Vigny, Puritain d'Amérique de Cooper, Quentin Durward de W. Scott.

Hier nous avons opéré notre rentrée dans nos pénates. J'ai fait de tous les métiers - frotté et ciré deux chambres, transporté des meubles, mis des rideaux dont j'ai décousu les bâtes, poli mon bureau etc. - Acoquiné d'un bon bon fauteuil, solide, chantourné, garni en vert.

Aujourd'hui les troupes ont été licenciées. Canons retirés de leurs batteries. Les travaux étaient abandonnés ou finis, déjà avant-hier. Les casernes ont repris leur silencieuse solitude. De joie, les militaires sont allés enterrer la guerre dans les guinguettes des environs. Tambours en tête, officiers aussi, mais désarmés, ils ont gagné la campagne. D'autres sont allés au théâtre. J'y devais aller ce soir, pour Guillaume Tell de Rossini, mais Tissot chez qui j'ai dîné, et qui devait m'accompagner, est en partie de plaisir avec le corps des volontaires. Il est ou plutôt était, caporal galonné. Ils sont licenciés, tous, sauf les volontaires étudiants, qui auront (m'ont-ils dit) un exercice par semaine jusqu'en Novembre.

Entre la première proclamation qui appelait aux armes, et la dernière qui les a fait déposer il s'est écoulé vingt jours (du Vendredi 28 Septembre au Jeudi 17 Octobre).

Genève, pour démontrer hautement qu'elle n'avait pris les armes que pour sa défense et non par bravade, les a déposées avec plus de promptitude encore qu'elle ne les avait saisies. - Un seul regret a été témoigné, c'est qu'on n'ait pas auparavant fait une salve générale d'artillerie, de toutes les pièces sur les remparts. Une prudence étroite l'a emporté. Mais la publication d'hier est irréprochable; elle est digne, belle et noble comme la première. Genève, c'est bien; tu as achevé une belle page de ton histoire, comme ils disent. Reprends ta veste d'ouvrier, et crois en l'avenir.

Peuple, repose-toi, ta semaine est finie. (Delavigne)


J'ai été ce soir chez M. Long-champ : il est en route pour revenir de Lausanne. On l'attend aujourd'hui même.

- Le corps des volontaires était de 280, celui des étudiants de 53 : en somme 333.

A 8 heures du soir, cherché ma tante chez Mad. Brémond.


Vendredi 19 Octobre


Ecrit à Montmirail , envoyé deux livres et deux lettres. - Après dîner été chez M. Chenaud et pris chez M. Graf l'adresse d'Elysée à Heidelberg. - Eté chez le tailleur pour essayer la redingote et le gilet commandés pour cet hiver. Il viendra demain. - Je suis monté à l'appartement du Fort de l'Ecluse où j'ai pris deux caisses de papiers appartenant à mon oncle Frédéric.

Le soir, nos balles sont revenues : j'ai déballé mes livres et jusqu'à souper je les ai mis en ordre sur les rayons de ma bibliothèque.

J'ai sué à sauter avec les cordes d'emballage.



Octobre

Samedi 20


Employé la matinée à finir mes arrangements de livres. Passé en revue toutes mes paperasses, classé, et attaché en différents paquets. Extrait beaucoup de vieux papiers inutiles. Mis à part plusieurs livres pour m'en débarrasser de manière ou d'autre. Déchiré force brouillons et des vers de commençant; enfin tout organisé pour n'y plus revenir. - Eté faire visite à M. Longchamp, qui est resté quinze jours à Lausanne et compte y retourner voir les examens. Il m'a conseillé pour dictionnaire allemand
Schwann ou Mozin. M'a montré tables Iguviennes (patois ombrien) interprétées par Grutefend. Point de ressemblance de terminaisons, avec le latin, beaucoup en f; trif, bof, anglaf pour tribus (trois), bobus (deux), aquila - bobus (ambobus) deux.

- Monté chez M. Roux qui venait de sortir.

- [Une ligne biffée.]


Dimanche 21.


Resté à la maison. - Entendu M. Bouvier, sermon magnifique d'action de grâces. Texte tiré d'Isaïe : C'est moi l'Eternel, qui fais la paix et la guerre, c'est moi qui envoie la lumière ou les ténèbres. - Lu Valentine - Les amies de Jenny et d'Andrienne ont veillé chez nous. - Monté chez les Philitès, qui étaient dehors.


Lundi 22.


Ecrit à E. Chenaud à Heidelberg, et porté ma lettre à sa mère qui en envoie cinq ou six.
Un peu de gymnastique l'après-midi.
Acheté chez Desrogis pour F 6,85 cinq pièces de théâtre (drames) -

- Louise de Lignerolles par Dinaux et E. Legouvé.
- L'Idiote d'Edouard Alboize.
- Le bourgeois de Gand d'Hippolyte Romand.
- Samuel le Marchand de Montigny et Meyer.
- Gaspardo le Pêcheur de Bouchardy.


Octobre

 

Berthier-Guers n'a pas encore fait mon compte. Passé chez Lador, leur collection est incomplète de la France dramatique. - Veillé chez les Philitès, vu chez le cadet, histoire des Français par Lavallée. Abailard et Héloïse traduction d'Oddoul et gravures de Granville. - Suède, Grèce ancienne dans l'Univers pittoresque de Lebas et Cie etc. Rabelais.


Mardi 23.

 

Lu la Physiologie du Goût par Brillat-Savarin et Farruck-le-Maure drame de Victor Escousse; le pauvre auteur s'est suicidé parce qu'il craignait de rester au-dessous de son début.

Lu le Bourgeois de Gand, drame porté chez Mme Brémond où j'ai causé la veillée.


Mercredi 24.

 

Lu Samuel le Marchand, Louise de Lignerolles, l'Idiote, Gaspardo drames.

Lu de l'Histoire de Charles Quint, par Robertson; un peu de Michelet. - Acheté Aphorismes d'Hippocrate; Philippiques de Démosthènes, et Sophocle, chez Triboulet.

Donné à Berthier la commission de 45 francs. Visité chez Kesmann dictionnaire de Schaffer, tout récent, supérieur, dit-il, à Mozin, mais y est intéressé - 36 francs. Je consulterai monsieur Cherbuliez. Emprunté et parcouru l'histoire de Théop. Lavallée. Bonne, mais il me faut voir celle de Michelet.


Jeudi 25.

 

Lu les Aphorismes - Acheté F 6,85 chez Desrogis, un Elzévir Imperii Romano-Germanici Status, et Contrat social par J.J. Rousseau. Changé à Triboulet mes Antiquit. Romaines et ma gramm. française de Noël, contre

Valery, Etudes morales, littéraires et politiques
Kaupert, Méthode pour apprendre l'Allemand
Franklin, Science du bon homme Richard.

Monsieur Cherbuliez était parti pour Lausanne - Eté chez M. Roget, absent. On le trouve entre 8 et 9 du matin et à 3 heures du soir, son dîner.
- Vu Steiner; il est au bureau dans l'allée de M. Barde.
- Eté chez Raisin. Son père m'a donné de ses nouvelles, puis parlé politique, pendant trois quarts d'heure debout. Il voit tout en sombre. Intrigants partout, selon lui. - Ecrit à Pierre.


Octobre

Vendredi 26.

Vu M. Roget chez lui à 8 heures. M'a conseillé Lavallée; m'a demandé de lui faire des vers pour tâter le public du Fédéral. - M. André, fermé - Pendant cinq quarts d'heure, remué des bouquins chez Lador. Acheté douze volumes pour 5 francs.
1. Recherches sur L'inde ancienne (par Robertson)
2. Républiques de la grèce (par Urbon Emmius) 
les Elzévirs à Leyde 1626.
3. Histoir. variées (Elien) Jacob Stoer. 1630.
4. Polydor. Vergilius de inventis. Jac. Stoer. 1590.
5. Magica de Spectris Leyde 1656.
6. Hortulus Romanus ex Cicerone - 1623.
7. Epictète, Cebes, Hipparque. Leyde. 1634.
8. Galenus de Alimentis. Leyde 1633.
9. Heroïd. et Amores (Ovide) Amsterd. 1717.
10. Fasti et Tristes (Ovide) Elzévirs, Leyde 1629.
11. Phrases linguae latinae (Antoine Schorus) Hervag. à Basle - 1550.
12. Martial, Simon Colinœus, Paris, 1540.

Commandé chez Berthier, Histoires des Français par Lavallée et La Conquête de l'Angleterre, par A. Thierry; 7 volumes pour 25 francs. Je lui dois donc 70 francs, sur mon prix de 100.



Samedi 27.

Acheté un Plaute de 1568. Un franc, chez Lador. Edition rare pour la pureté du texte, les notes de Scaliger, Alciat, Gyrald, Camerarius, Turnèbe, Langius, Junius et Curion et les différentes leçons.

Décrotté les bouquins achetés hier, mis des titres, parcourus et feuilletés et vernis.



Octobre

Dimanche 28.

Entendu le sermon de M. Jacquier ministre de Bordeaux. Très faible et cantilène insupportable. - Fête des jardiniers à Plainpalais. - Grégoire Philitès m'a fait visite, ainsi que Edm. Richard petit français, logeant chez Mlle Paye sa cousine. Hier et aujourd'hui temps superbe. Nous irons, s'il continue, en bateau demain. - Le soir joué aux cerceaux, dits les grâces. Puis sauté longtemps à la corde, au clair de lune devant la maison. Quasi romantique. - Un peu de cartes pour finir, et le jeu des allumettes. -Jeanne la domestique, revenant de Jussy, nous a rafraîchi de raisins assez verts malgré la saison. La vendange sera pareille, et le vin assez aigre. - Prêté mes drames à Mme Brémond, elle en fait quelque cas, mais préfère encore les tragédies, vieux style. Rien d'incroyable à cela, elle lit les premiers tragiques et les médiocres dramaturges. - A la corde j'ai pu faire par deux fois un triple tour au lieu du simple double tour. - Edmond Richard a joué aux dames avec moi, il est faible.



Lundi 29.

Lu quelques poésies, pour regagner le terrain que m'ont fait perdre les livres d'érudition et les bouquins. Je veux essayer de me remettre aux vers. Mais il me faut lire Chénier, Reboul, Delphine Gay, pour retrouver l'essor et rentrer dans cet élément-là. - J'ai encore succombé, cet après-midi, à feuilleter mes deux Plautes de 1500, j'ai feuilleté, comparé, lu des Captivi que nous ferons avec M. Ferrucci. L'édition de Lambin est faite sur celle de Cœlius Secundus plus vieille de dix-neuf ans. J'ai mis une tranche à ce bouquin-ci. Son extérieur sera moins rébarbatif.


Mardi 30

 

Fait quelques vers. - Eté chez M. André et M. Ferrucci. Absents. Celui-ci demeure vers St Antoine. - Vu Tissot qui m'a parlé des bambochades des volontaires. Grand repas doit se faire au grenier à blé. Artilleurs genevois et vaudois, y compris les carabiniers. Au moins 1.500. - Réunion de fonds patriotiques pour la fonte de pièces de canon; l'affaire est pendante. J'ignore le résultat.

Steiner s'est laissé entraîner jusque chez moi, à grand peine. Puis une fois établi dans mon fauteuil, n'a plus voulu en sortir, malgré ses menaces. Je dois aller chez lui demain à 7 1/4 du soir, pour voir quelques bouquins. Il a quatre années du Voleur et m'en a promis des numéros. Il lit l'italien et l'espagnol et va se mettre au portugais.


Mercredi 31 8bre au Lundi 5 Novembre.

 

Eté chez Steiner m'a prêté huit numéros du Voleur. - Eté chez M. Roux, causé de son avenir, il se trouve bien malheureux, sa carrière s'est terminée dans un bourbier, il est presque encloué. Voudrait travailler d'esprit, et ne peut faute de temps. Il se sent rongé de mal-être, et non à sa place. Pauvret. Espérons de la résignation, mais dans longtemps peut-être. Il est si bon et à plaindre. Il a quelques traits de caractère par où il me ressemble, il m'a montré le vice de l'irrésolution dans les études, du désir trop prononcé de connexion logique dans ses lectures. On perd son temps à l'implorer, et le temps est perdu, perdu! Si je pouvais profiter de l'expérience... il faut tenter.

Samedi 3 du mois, acheté chez Berthier-Guers pour 15 francs, 7 volumes in-32.

Mme Tastu (2), Mme Girardin (1), Mme Desbordes-Valmore (2), André et M.J. Chénier (1), Barbier

(1).Le soir a eu lieu le grand repas de l'artillerie au grenier à blé de Rive : 900 convives. Il y avait d'invités 100 Vaudois, on en attendait trois fois plus. M. Massé colonel du bataillon a réparé sa faute envers M. Rigot. Il a surmonté son amour-propre, et scellé sa paix par une santé. Sabon et consorts, ont fait merveilles en musique.

Donné à M. Roget sur sa demande six strophes sous le titre l'Orphelin. Il les mettra dans le feuilleton du 8 je crois : il l'a bien voulu, si cela rate... Chaque fois que je recommence à versifier, l'essai est une sorte d'apprentissage, c'est comme la première feuille qu'on tire à l'impression, si on l'emploie elle est horrible. Tant pis.

Lundi été au théâtre, à la rentrée de Mme Pepin, Valérie, Une Passion, le Dieu et la Bayadère, opéra. Charmant spectacle. L'opéra est d'Auber, l'auteur de la Muette, cela en semble une [sic] décalque, c'est de la même école, elles se ressemblent par des traits de famille. Du reste Scribe ne l'a pas inventée, elle est faite d'après une poésie de Goethe, dont parle Mme de Staël. J'étais avec Tissot, le bon garçon; mais [trois mots biffés] Pierre n'a pas pu venir, ses parents ont refusé. Je l'ai bien regretté. Reçu un billet de Marin qui est à Paris, il ne peut pas rentrer le 14 avec nous, et me demande mes démarches et une lettre. Je lui écrirai demain.


Mardi 6 Novembre.

Employé portion de la matinée à courir après Raisin, et l'après-midi à lui aider à ses mathématiques. Il a goûté avec moi, puis resté jusqu'à 7 heures à causer dans l'obscurité. Il me disait ses dégoûts du préceptorat, puis légendes, histoires de sorts d'herbes et de peaux chrétiennes etc. recueillies dans les traditions du canton de Vaud ou plutôt de Dullit.

Demain et après, je partagerai ses préparations d'algèbre, M. Ritter étant absent.

Le soir écrit une lettre à Fanny . On a reçu de M. Richard des nouvelles semestrielles de Laure. Montmirail ne l'a pas matée, elle [est] dure à l'éperon. La petite diablesse se moque de tout le monde et déjoue tous les moyens. Elle ne répond pas à mes lettres, mais à son âge ce m'était un supplice; ainsi...!

Ah j'ai oublié de dire que Cougnard était venu ce matin avec Pierre. Il a mon cahier d'Histoire, et a les examens entiers de l'année à refaire. Je ne sais s'il se précautionne. Les leçons lui servent peu, à celui-là. Il ne m'a pas rendu depuis trois mois mes Antiq. Rom.


Mercredi 7 Nov.

Depuis le matin jusqu'à goûter, occupé à partager les mathémat. de Raisin.

Lu quelques numéros du voleur, avant souper.

Ecris à


Jeudi 8 Nov.

Attendu inutilement Pierre, cette matinée. Il est venu à 2 1/2 du soir. Jusqu'à 4 heures. Ecrit à Paris à Marin. - Le soir Mme Brémond a veillé chez nous, je leur ai lu Louis XI de Delavigne. La pièce les a enchantés, et en effet c'est le chef-d'œuvre de l'auteur, à mon goût.


Vendredi 9.

Acheté les numéros du Voleur et Biblioth. Univers. Passé à 1 heure chez Raisin. Il préparait son grec avec Bellamy. Viendra demain à 8 mat.

Eté pour voir M. André. Inutile : j'ai attendu une heure que MM. Delarive et autres sortissent du gîte, le poste n'a pas été évacué et je me suis éconduit moi-même. - Rencontré Theysseire aîné qui m'a dit de l'aller voir demain dans l'après-midi. Il est revenu à présent de la campagne, et je n'aurai pas besoin d'aller trois fois chez lui pour le trouver à la quatrième.

Rencontré Chenevière, Grand, Diodati : vont au manège d'équitation. - Vu Tissot - Reporté à Steiner ses voleurs, il me les a échangés. Nous avons causé, il est venu m'accompagner jusqu'à la porte de la ville. Il étudie ferme l'Italien et l'Espagnol; lit et parle passablement ces deux langues. - C'est le 12 du mois que commence la vente des livres Lador.

Les vers que j'avais donnés à M. Roget, sur sa demande ont paru dans le Fédéral d'aujourd'hui (Vendr. 9 Novemb.) sous le titre l'Orphelin. Ils sont plus que médiocres; car ce sont les premiers que je fais depuis plus de trois mois : et chaque fois c'est quasi un apprentissage, surtout lorsqu'on ne souffre que des rimes riches. - Je ne sais le plaisir qu'ils auront fait aux lecteurs : en tout cas c'est trop court pour avoir eu le temps de les faire beaucoup baîller. C'est consolant...? Surtout quand le morceau est défiguré, puisqu'ils ont omis la première strophe, qui est le germe de tout le reste, et l'introduction. Vae! Vae!


Samedi 10 Nov.

Le matin, Raisin est venu. Le soir je suis allé chez lui, toujours pour la même chose. Puis chez Theysseire jusqu'à 5 1/2. Ensuite chez les Cavagnary. M'ont obligé de rester à souper avec eux. J'ai goûté du pain d'essai de leur four; blanc et serré. Ils m'ont prêté leurs opéras et moi quatre drames. Les opéras étaient

Huguenots de Meyerbeer
Guido et Ginevra d'Halévy.

On ne sait à quand la noce de Célestine; elle est reculée de mois en mois. Le futur est encore à Lyon. - Aménaïde entre en pension le jour de l'an prochain, chez Mlle Lemaître à la Grand'rue. Elle a pris de M. Galli des leçons de musique théorique à 5 francs le cachet. On la destine à l'enseignement... Ah cela me fait penser à ma sempiternelle bêtise devant le monde; dans la conversation, sans y penser, j'ai peint en noir la vocation d'instituteur, et cela en présence de celle qui doit embrasser cette carrière. Faut-il être assez bûche, oie, cruche, canard, etc. C'est toujours ainsi, voilà le pis de l'affaire : et l'on reproche d'être taciturne, lorsque je me tiens coi, pour cause!!


Dimanche 11 Nov.

Entendu M. Chenevière, sermon d'actions de grâces. Il a pris notre histoire, et passé en revue toutes nos délivrances précédentes, si touchantes pour des cœurs genevois. Comme justification d'y revenir un peu tard, il a fait sentir, qu'on s'était lamenté longtemps des suites de deuil de la guerre, pourquoi donc se lasser si promptement de remercier, etc.

Après le sermon sont venues les dames Cavagnary. - J'ai été dîner et passer l'après-midi chez l'oncle Jaques. Sommes allés à Pré-Pigeon. Il a fait enterrer des arbres fruitiers, et nous sommes revenus avant lui. M. André est venu partager les chataîgnes et le miel de notre goûter. Quand je m'en suis allé, ils faisaient un ballot de livres et hardes pour le grand'père et sa fille. Ceux-ci passent l'hiver à St Paul-Trois-Châteaux et non à Montpellier. Ils n'auront pourtant ni les ressources ni la salubrité qu'offre cette dernière ville.

M. André m'a prêté les Odéïdes du Cid, par Creuzé-Delesser.


Lundi 12 Nov.

Le matin été aux examens de rentrée. Raisin était absent, de la salle de l'académie et de chez lui quand je suis allé l'y chercher. Il a fait ses examens passablement à ce qu'on m'a dit et ne s'est pas trouvé là pour sa formule. On m'a dit celle de mon dernier examen : Approbat. complète. - Acheté une rame de papier (8 florins).

A la vente Lador, misé : Locke, entendement humain; Conservatoire dramatique. Neuf volumes pour 7 F.


Mardi 13.

Vu quelques examens. Acheté chez Lador :

Condillac, traité des sensations 2 vol.
Schwan, dictionnaire allemand 7 vol. in-4°
Tillemont (Empereurs Romains). 6 in-4°


Mercredi 14 Nov.

 

Rentrée aux Auditoires. Cours de MM. Roget, Pascalis, Ferrucci, Conte.

Le soir été chez Raisin; retiré mes cahiers. - Il m'a prêté le Nain noir et l'Antiquaire de W. Scott.

Nous nous sommes réunis [à] cinq, à savoir Teysseire, Munier, Dufour, Lefort et moi pour décider le sort de la société de belles-lettres. Nous la continuerons. A Vendredi en huit, première séance chez Lefort à 5 heures. Nous apporterons chacun quelque chose.
J'ai oublié qu'hier je suis allé à la Coulouvrenière Société de Zofingen. Henry et Raisin ont passé de candidats à membres. Le second acte de fumigation et de ripaille a duré jusqu'à 11 1/2 heures. J'ai assisté aux délibérations concernant les candidats, Raisin a été bien disputé. Je suis mieux connu heureusement : cet ennui me sera épargné.


Jeudi 15 Nov.

Le cours de M. Diodati est renvoyé momentan. - J'ai cherché un morceau d'histoire à traiter pour M. Roget : les Bagaudes.


Vendredi 16.

Outre mes cours ordinaires j'ai suivi le cours de M. Roget à la Faculté des lettres, France et Angleterre au 18ème siècle.


Samedi 17.

Marin est revenu de Paris, il a envie de se vouer à la médecine. Senn le médecin dit que c'est un état de crève-faim. J'ai fait connaissance avec M. Prélat, père adoptif de Paul Marin.


Dimanche 18 Novembre.

 

Entendu le sermon du ministre Bourdillon, à St Gervais. - Je ne suis pas allé chez mon oncle Jaques aujourd'hui. Le soir, Andrienne avait à veiller ses amies Fargeon et Rey, avec leurs adhérents MM. Schnieder et Edouard un tel. J'ai été obligé de lire les Enfants d'Edouard. Cela a pris toute la soirée. On a paru content.


Lundi 19.

Après mes cours - lu six numéros du voleur et de la Bibliothèque universelle.


Mardi 20.


Mercredi 21.

Après les cours - Lu U, traduct. en vers de Creuzé de Lesser.


Vendredi 23.

Acheté Quintilien chez Lador. - Reçu une lettre de Chenaud à Heidelberg, oh quel plaisir. - Une séance de la Société de belles-lettres, j'ai été nommé secrétaire, ennui! - J'ai lu un maigre morceau intitulé Une larme. Je dois encore composer pour Vendredi prochain. - Munier voulait que je jouasse le duc dans le quatrième acte de l'Ecole des vieillards, j'ai refusé ce rôle de jeune-premier-amoureux. Je ne veux pas débuter par ce ridicule. - M. Töpffer pour sujet de composition de cette quinzaine a donné Esope devant le siècle. Le précédent était cet adage Hoc erat in votis. Schonfpelberg de Neuchâtel nous l'a lue en vers sur le Grutli, pas neuf.


Samedi 24 Nov.

Eté chez Richard faire ma géométrie. - [Une ligne biffée, qui commence par : Acheté] Ah hier, on jouait au théâtre Kean de Dumas. Gellas s'est distingué, dit-on; en attendant, il bouquine chez Lador. - Raisin est allé au théâtre, il m'avait emprunté 3 francs et m'en doit encore un. - Lu le Hamlet de Shakespeare et le Roi Lear, du même.


Dimanche 25.

Entendu le ministre Delétra à St Gervais, sur le texte : Je suis la résurrection et la vie.

Dîner chez ma tante Alix.

Ecrit deux lettres :

1° à Horgen
2° à Heidelberg.

Le soir, donné lecture de l'Orpheline (par Paulin) ou les Mémoires posthumes, comédie.


Lundi 26.

Acheté les œuvres complètes d'Augustin Thierry, en un seul volume, il faut encore les faire arriver de Bruxelles. - Lu deux numéros de la Bibliothèque, morceaux de M. Roget, la femme libre; Aug. Thierry.


Mardi 27.

Présenté comme candidat à la société de Zofingue, par Barral théolog. ami de Chenaud. Cinq autres et parmi eux Cougnard, se sont fait présenter en même temps. - Bordier chef du comité de revue, veut que je fasse un morceau.
Donné à relier mon Locke à Lecoultre relieur au Perron. Ma tante m'a recommandé ce pauvre diable.


Mercredi 28.

Lu quelques pages dans l'Esprit des Lois. Quelques morceaux de Mme Desbordes-Valmore. Deux numéros de la Revue suisse. - Un numéro du journal Parisien la Caricature.


Jeudi 29.

Première leçon de M. Diodati, histoire de la philosophie à la Renaissance. Préliminaires.

Visite à M. André. - Acheté un Legendre.


Vendredi 30.

Séance de la Société de Belles-Lettres. - Tissot était assistant, grâce à mes efforts. - George Philitès m'a prêté Michelet (histoire de France) et Au. Thierry (hist. des Gaulois).


Samedi 1 Décembre 1838

Acheté deux drames : Sonneur de St Paul par Bouchardy, et Maria Padilla d'Ancelot. J'ai fait relier mon Locke en un volume.


Dimanche 2 Décemb.

Entendu le sermon de M. Chastel, sur le texte Celui qui est toujours tourné vers le ciel ne sèmera point, et celui qui regarde toujours les nuées ne moissonnera point. - C'était contre ceux qui n'entreprennent jamais rien, parce qu'ils considèrent toujours les obstacles ou l'issue. Paresse, mauvaise honte, timidité ou lâcheté : voilà les causes. -Le soir, invité à veiller chez Mme Fargeon. J'ai dû lire à l'assistance le Sonneur de St Paul. La pièce a été trouvée fort belle, et le dénouement satisfaisant.


Lundi 3 Déc.

Pris le cours Diodati à 2 heures. - Allé à la Bibliothèque, et lu dans Dom Bouquet de St Maur concernant les Bagaudes Armoricains. - Lu deux volumes de la Biblioth. universelle; pour des morceaux de M. Roget, sur le Diction. Acad. sur la littérature française depuis Louis XIV, etc.

Lu le drame nouveau de Victor Hugo, Ruy Blas. Pour le moment, je m'abstiens de jugement, il faut un mûr examen, et j'ai lu rapidement.


Mardi 4 Décembre.

Eté à la Bibliothèque pour consulter les Bouquins.


Mercredi 5 Déc.

Consulté deux histoires de Bretagne. L'une, de Pierre Baud (je crois), la seconde de Lobineau, bénédictin de St Maur. - Reçu une lettre de ma cousine Julie Brandt. - Raisin est venu ce soir, selon sa promesse. - J'ai fait demander chez Desrogis, 22 pièces du Magasin théâtral, à peu près pour 10 francs. Elles seront arrivées dans dix jours, c'est-à-dire Samedi 15 courant.


Jeudi 6 Déc.

Acheté lunettes myopiques (verres concaves) un peu fortes, elles fatiguent vite. -Acheté une casquette.


Vendredi 7.

Société de Belles Lettres.


Samedi 8.

Berthiers le libraire m'a fait venir Hugo et Aug. Thierry (œuvres complètes). Trois gros in-8° à deux colonnes.


Dimanche 9 Déc.

Entendu M. Thouron prêcher sur l'utilité des afflictions. En quatre ans, il a perdu trois de ses plus chères affections, son expérience le rend plus croyable aux auditeurs.


.......................... Mercedi 26 Déc. 1838

Reçu Zofingien! en même temps que cinq autres.


Lundi 31.

Fêté le 31 à la Coulouvrenière. Nous ne nous sommes trouvés que sept. - Schmolitz avec Lecoultre, Bordier, Breitenstein, théologiens. Dès lors on se dit tu, en frères.

Achats.

Pour 15 francs de drames détachés.

Pour 15 francs : (7 vol. in-32 de Bruxelles) poésies des trois femmes poètes, des deux Chénier, de Barbier.

Pour 20 francs : Cours de littérature de Villemain sur le Moyen-Age et le 18ème siècle - (7 vol.).

Pour 9 francs : Collection de Champagnac, les poètes français de 2d ordre (15ème au 18ème siècle) (6 volumes).

Pour 13 francs : Histoire des français par Th. Lavallée (trois volumes).

Pour 45 francs : Montaigne, Hugo, Byron complets (4 énormes in-8°).

Pour fr. 2,50c : Atala, René, de Chateaubriand.

Pour 5 francs : Mémoires de St Simon (7 volum.).

Pour 16 francs : Oeuvres hist. d'Aug. Thierry.

Corinne ou l'Italie (Mme de Staël) 3,50
Perfectionnement moral (Degerando) 6,50
Pascal, et Caractères de La Bruyère 3,50



Année 1839.

1 Janvier, Mardi.

Fait des étrennes : à mes deux sœurs; à Cécile, à Louise, à Caroline, mes cousines germaines; à Eugène; aux domestiques Jeanne et Rose; donné des pièces de théâtre : à Fanny Brémond et à Célestine et Aménaïde Cavagnary.


Mercredi, le 2.

Fait quelques visites et quelques emplettes.


Jeudi le 3.

Organisé ma bibliothèque. Etudié le second livre de la géométrie de Legendre. - Attendu 1 1/2 heure chez Raisin. Le diable n'est pas venu! Des rendez-vous ainsi observés, feraient jurer un saint.



Lectures depuis le mois de Mars 1839 :

Villemain (littérature du 18ème siècle)
Rose et Blanche
Jacques
Le secrétaire intime
Mauprat
Le Presbytère de Töpffer
Valérie
Le Bravo
Pauline, Pascal
Isabel de Bavière
Robert de Paris
L'Abbé
Sous les Tilleuls
La Salamandre
Le Médecin de Campagne
Santé des gens de lettres
Manfred, Caïn, etc
René
Lettre à l'archevêq. Beaumont
l'Edda des islandais


G. Sand
id.
id.
id.

Mme Krüdener
F. Cooper
A. Dumas
id.
W. Scott
id.
Alph. Carr
Eug. Sue
Balzac
Tissot
Byron
Chateaubriand
Rousseau
(trad. par Mallet)