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1852
Excursion en Suisse
[Canton de Neuchâtel
principalement]
/ 1 / [ 28 Août] - Genève
Je manque le vapeur de 8 heures. - 2d
déjeuner chez les Marins* - Atelier
Constantin 3 porcelaines pour 100.000 francs - Fouque
d'Arles, l'ami de Tavel, le jeune
Pradier au long nez - 1 heure à la
Soc[iété] de lecture (entre autres
Critique de Redwitz ) - 2 loups
vivants de Gex.
(En route). Place de banquette. Admirable temps. Le
conducteur, figure rude, bon père. - Longue
série de villas genevoises. - Côte Savoie
parfaitement nette - Soleil ardent, bruit de clochettes,
somnolence. - Rencontre des 2 vapeurs. - Roulages - Beaucoup
de fruits. - Figuiers, cèdres, champ de roseaux
près Morges, le seul du lac sur cette rive nord.
(Lausanne) Café Rodieux - Visite à Riantmont.
Je passe 11/2 heure chez Mr Vulliemin*, connaissance de Mr
l'ex conseiller Calame . La
conversation reste embarrassée ; je regrette
d'être resté. V[ulliemin]* bat froid
à l'article de la Revue
Suisse .
(Lausanne à Yverdon) Clair de lune
éblouissant. Place d'intérieur. En face de moi
un appétissant et dodu vis-à-vis, qui me tient
joliment chaud / 2 / avec ses innombrables cotillons
& ses extrémités bien nourries. Un gros
argovien et sa fille. Tout cela goisant
deutsch . J'avais envie de voir le Val de Travers au
clair de lune, mais je recule devant une nuit blanche,
d'ailleurs j'avais froid. Je reste à l'hôtel de
Londres, à Yverdon - Triste expérience.
Feuge Satanas .
[29 Août] Dimanche
1. Yverdon. - Église protestante. Château.
Promenade. Visite au Valentin, je ne vois que le fils
Rougemont, un Gaussen en main,
tour de la campagne. - Visite à Mr Correvon.
-
Le port herbeux, le vapeur en retard - la population
curieuse - Le Cygne débarque les artilleurs genevois
de Colombier !
2. Le lac. - Brise fraîche, temps délicieux,
jamais les côtes ne m'avaient paru plus belles &
aussi variées. Immense supériorité de
la course par eau. - Panorama - Je cause avec un
garç[on] intéressant, Phil. Brandt de
La Chaux de Fond. Superbe effet de Neuchâtel vu de
loin.
3. Neuchâtel - Dîner à l'hôtel des
Alpes. - L'allemand domine à table. Voisin
français, Mr Chaudet-Petitpierre, singulier
vieillard, qui en 1837 arbora avant Bourquin
le drapeau républicain. / 3 / Le vieux Mr
Borel-[ ?] me conduit à la
Soc[iété] de lect[ure]
où je reste jusqu'à 5 1/2 heures, car on
était à l'église et je n'avais à
espérer personne. Je lis entr'autres Texier
(Tableau de Paris).
L'odieuse femme qu'on emmenait.
Fin du jour - Splendide paysage depuis la Terrasse du bord
du lac ; je reste plus d'une heure devant cette lanterne
magique. Effet vaste, large, immense, lumineux & doux..
Lac miroir. Alpes fantastiques à travers le
hâle (Jungfrau & en major, l'absolu, le Mont
Blanc). Le fond vers le Sud me rappelle Ischia.
J'étais ensorcelé & ne pouvais partir.
Réparation à Neuchâtel, toute la
journée, le pays m'a paru ravissant.
Visite à Monru[z] (les MM. Pury*
et Marval absents). Je passe
1½ heure avec la jeune femme et sa vieille parente.
Made Rose toujours charmante. Ne porte plus de boucles &
a toilette plus négligée. Causerie
variée, surtout voyages - aliénés -
surs de charité - Remarquable lever de lune
rouge - Délicieux retour, route à pic sur le
lac, rideau de feuillage, traînée de lune au
travers, je chante tout du long. Nouvelle séance
à la Terrasse, effet de nuit - Bateaux à rames
- Le guet. - Merveilleuse journée.
Le tisserand de Serrières.
/ 4 / [30 Août] Lundi.
Excellente nuit, bien-être au réveil - Perdu
inutilement beaucoup de temps. - Promenade après
déjeûner sur le quai du Collège. - Vue
de ma fenêtre, départ du Cygne - Mr Wolfrath
absent.
La matinée chez Mr le pasteur Godet
, de midi à 10 ½ heures avec Félix
Bovet*, tournée en ville, puis dîné chez
lui, puis la Bibliothèque, puis soirée
à Monruz où Ed. de Pury* nous fait courir la
montagne avant le thé.
Belle matinée, après-midi chaud, puis
voilé, soir nuageux & chargé
d'éclairs, faisant bel effet sur le Lac.
J'ai appris à connaître aujourd'hui
des hommes (MM. Prince , Vouga
, Mercier, Bovet père, Dufour instituteur - revu MM.
Marval, Secrétan ,
etc.),
des lieux (Noïd-Nolex, Ste Hélène, Combe
à Servet, le Mail, le Cimetière, les cercles,
maisons du faubourg, etc.),
des choses (à la Bibliothèque
q[uel]q[ue]s m[anu]s[crit]s,
surtout ceux de Rousseau - l'état des églises
luthériennes et réformées en France -
le prédicateur Wittich de Colombier - le
magnétiseur Mongrorel [?] avec Didier)
Surtout j'ai beaucoup conversé : / 5 / 2
heures avec Mr Godet (sa vie, ses occupations, sa
prédication - Mr Rougemont
, son grand ouvrage, philosophie de l'histoire - Moïse,
l'exégèse subjective et de transmission,
à propos du jardin à cultiver et garder -
toutes les forces sont des volontés ; la
quantité devient qualité, une once de poudre a
plus de Volume qu'un rocher - rapport de poésie,
religion, science, vie - Dieu crée des
créateurs. - Puissance future de l'homme sur la
Nature. - Question de Satan, traitée
psychologiquement, ontologiquement, bibliquement - nous
sommes l'âme du monde ; puissance infinie de la
volonté - Les chefs d'uvres de Satan :
l'Empereur, le Pape dans le passé,
l'étatéchrist [sic] dans l'avenir ;
portrait de l'Antéchrist), en somme c'était
grave, profond & grand. C'est un esprit vigoureux,
élevé, puissant, mais parfois prisonnier dans
la tradition.
Conversation spirituelle, piquante, aimable avec Bovet* ;
goguenarde, gaie, pleine de centons
, lazzis, citations et fariboles avec Pury*.
[31 août] Mardi.
8-91/2 - Hôpitaux Pury
et Pourtalès , sous la
conduite du pasteur Mercier - Diaconesses protestantes dans
le 1er, surs catholiques, le Dr Castella
, (depuis 1811), dans l'autre.
/ 6 / 91/2 - 10. Visite aux Lyanna*, Mlle
Madelon pas visible, Mlle Caroline à
Genève.
10 - 101/2 - Gymnase, Musées de peinture
& d'Hist[oire] natur[elle].
11 - 121/2 - Orage, je reste à la
Biblioth[èque], - MM. Ramus
& Vouga.
11/4- 23/4 - Dîné chez Mr
Godet, avec Bovet* - Pasteur Germond se montre. Les 4
enfants (George, Marie, Berthe, Philippe).
3 - 4 1/2 - La Collégiale, le
Château. Dans l'une tombeau des Neuchâtels
(9 hommes, 6 femmes), Pierre et Paul à la porte,
inscription de 1500. Le conclave, le balcon - Dans l'autre,
cour, Salle des États.
MonRuz - puis St Blaise - puis Préfargier, le grand
établissement d'aliénés par Mr
de Meuron , directeur Mr Borel.
Longue visite.
8-9 1/2. Soupé à St Blaise chez Mr
Dardel, fils d'une
suédoise, époux d'une cousine germaine de
Pury*, qui nous mène chez lui. - Gentille femme plus
la sur aînée de Pury* - Visite à
Henri Debrit, dernier rég[en]t de
l'endroit.
Au retour, revenu seul avec Borel depuis Champ
Prévère (accompagnés jusque là
par MM. Dardel, Debrit & Magnin) - j'étais
allé avec Secrétan de plus (causé de
Neuchâtel et de Monneron
).
Journée sombre et pluvieuse depuis 11 heures
matin.
Lettre à Louise*, la catéchumène -
(Minuit)
/ 7 /
[1er Septembre, Mercredi]
(Matin) Visite à Secrétan, sous la conduite de
F. Bovet*. Entrée introuvable, vue magnifique, sorte
de jardin suspendu au-dessus de la ville. Nous causons de
Neuchâtel, de l'isolement inévitable et de la
circonspection nécessaire, pour lui
(Secrétan), de Verhuel -
je fais des réflexions salutaires sur les
inconvénients de la gêne, sur les fameux
prêts à l'étranger, etc.
2. Ennuis aux messageries pour l'expédition de mon
sac de voyage. La boutique de tabac en face. J'achète
des Havannes !
3. E. de Pury* que je rejoins au Cercle
des Halles m'accompagne jusque sous un noyer, mi chemin
de Corcelles.
4. Corcelles. Je trouve dans une jolie maison neuve à
l'entrée du village, la propriétaire Mlle
Sunier, sa sur Made Roulet, Made Béguin et une
autre vieille parente. - J'y dîne - Longue causerie :
société royaliste et le roi de Prusse, messie
de leur foi politique. Effroi de la civilisation
envahissante, chemins de fer, télégraphie
électrique, etc. Je suis beau de verve et de polie
ténacité. Départ à 2
1/2 heures.
5. Cormondrèche. Visite à Mme DeBrot. La
maisonnette d'en face me fait une impression
pénible.
/ 8 / 6. De Cormondrèche à la
Chaux-du-Milieu, à pied, de 3 1/2 à
8 heures. - Le ciel s'arrange et devient beau, temps chaud.
- À travers prés pour commencer, faucheurs et
faneuses. Belle route en zigzag dans les forêts, avec
des perspectives variées sur la gauche. -
J'abrège et coupe par Montmollin, Langolieux
, les Grenettes ( ? ) - puis
par les sentiers j'évite les lacets de la route,
autour d'une gorge abrupte.
Auberge de la Tourne - grog.
Excursion à la Tablette, accompagné d'une
petite fillette de 6 ans, qui pleure d'abord & dont je
gagne les bonnes grâces en une demi-minute. - Chevaux
libres, fraises, framboises, quelques huttes et loges
(non habitées). - La Tablette, promontoire de roc,
rejoint par un col étranglé à la pente
de la montagne. - Assez belle vue de couchant, les 3 lacs ,
entrée du val de Travers, la carte d'un quart du pays
de Neuchâtel ; l'inversion de la vue du dimanche matin
depuis le lac. Le vent piquant et l'heure avancée me
chassent. Donnant la main à mon petit guide ou la
prenant sur mon bras, je redescends vers la route au-dessus
de la Tourne. Cette enfant me fait faire de curieuses
observations sur moi-même et sur elle.
La grande vallée des tourbières - Pyramides
noires, eau noire, vaches noires et blanches - Gros village
des Ponts. Il fait nuit. J'abrège pourtant encore par
/ 9 / la hauteur. - Alfred Sandoz du Locle, chemine
un quart d'heure avec moi jusqu'au Chalet de la Joux,
métairie considérable appartenant à la
Ville de Neuchâtel, objet d'excursions
bergeresques.
Je descends dans l'obscurité droit sur la
Chaux-du-Milieu. Fantôme blanchâtre du clocher,
trois ou quatre maisons éparses ; la lumière
d'une maison me guide. On me prend à la lucarne de la
fenêtre pour un rôdeur de nuit. Enfin je sonne
chez le pasteur, ce brave Jacques Lardy. - Bien accueilli,
rustiquement & cordialement. Je trouve là le
frère Louis Lardy
(médecin au Locle) avec sa femme (Dlle Russillon
d'Yverdon) et le petit garçon de 2 ans. -
Localité : grande maison, blanche à la face,
en gros blocs carrés, avec dépendances
adjointes, toute brisée à l'intérieur.
En bas, salon, salle à manger, cuisine et cabinet des
hôtes. En haut, 3 pièces, la chambre de
travail, chambre à coucher, autre cabinet pour les
arrivants. - Écurie, fenil, etc. - Devant joli
jardinet, basse-cour. - Le village se compose de
l'église, la cure, l'école, plus une escouade
de maisons parsemées comme les astres d'une
constellation sur les prairies unies et uniformes, de cette
haute et froide vallée.
Habitants de la maison : jeunes, bon vivant, léger,
sans façon et taquin pour sa femme - et Augustine, /
10/ fraîche et appétissante blonde,
gaie, rondelette, complaisante et facile à vivre,
n'approfondissant pas trop les choses. - La servante
allemande Susanne - L'obèse et propret Jonny, chien
du pasteur.
Climat terrible, 9 mois d'hiver, 3 pieds de neige et plus,
vents violents, variations de 30, 40 et même 50°
en un jour entre 6 h. matin & 2 après-midi -
Temps monotone, sans eau, couloir de pâturages,
couronné de sapins, où ne croît pas le
blé et à peine l'orge, seul[em]ent
l'avoine. - Assiduité au culte. Singuliers
pèlerinages par la neige. Les jupons-culottes ; aux
hommes grandes guêtres ; chevaux
empêtrés.
Je vis 30 heures de cette vie de pasteur des montagnes.
Intérieur chaud, confortable & même un peu
coquet - Le soir, musique au piano, ou parties de dominos et
de citadelles , conversation
descriptive. Le jour, longues excursions sur le flanc gauche
et flanc droit de la vallée.
Claire lune et fraîche matinée.
[2 Sept. Jeudi]
Promenade jusqu'à 12 1/2, sur le
côté occidental, chaque tertre a un nom, je les
ai tous oubliés. - Vue de la vallée du Doubs.
- La jolie auberge dans une combe, salés de Morteau
et vin de l'endroit, qui a le teint d'ognon & le
goût acidule. - Chapelle catholique dans / 11
/ un endroit perdu - Retour par la route hardie du Col
des Roches. - La percée du Bief à travers la
montagne, pour dessécher le val du Locle. - Vue des
Brenets aux toits rouges.
Les moulins souterrains, travail de Vulcain, cascades dignes
de l'Averne, au fond desquelles les cyclopes ont
placé des turbines, qui peut scier le bois et moudre
le blé, pour [nom illisible] ou
Cérès. Voyage infernal, dans ces
ténèbres rugissantes et humides.
L'après-midi, excursion à 5, sur l'autre
côté, joli chemin pierreux & moussu.
Cueillette des framboises. J'enfonce la jambe dans un
interstice de rocs, où par grand hasard je ne me la
romps pas, c'était le mauvais genou. Au Chauffot, je
crois, visite à la boutique qui cumule.
[3 Sept. Vendredi].
J'écris à ma sur L[aure]*. -
après le service préparatoire pour la grande
communion, auquel je n'assiste point, pour faire plaisir
à mon hôte, nous filons vers le Locle,
où mon paquet m'avait précédé
dès le soir par la voiture de Mr Louis
L[ardy].
Locle. Stupéfiante église, qui a
survécu à tous les incendies de l'endroit, le
plus ancien édifice de ces vallées ; toujours
le toit du clocher en sucrier renversé. - Les
Billodes (Mlle Calame ),
établissement de charité. Immenses maisons
/ 12 / neuves, nettes, claires, couvertes en tuiles en
général rouges.
Rues alignées - Eau à boire, citernes
fraîches.
Nous dînons à 6, dans la plus belle maison
(à fronton) du Locle, chez le médecin Lardy,
appartement de l'impératrice Joséphine et du
roi de Prusse (comme prince-royal). On avait invité
Mathieu, l'il noir & la figure ramassée et
bouffonne, autre camarade de Berlin. Il est subside
(auxiliaire suppléant d'office les 6 pasteurs des
vallées, pour toute lacune imprévue du culte
ou des fonctions pastorales).
Je n'apprends rien des vieillards Brandt, et Baillod sur
lesquels je m'informai en faveur de la cousine Julie*. Tous
étaient morts.
Du Locle à la Chaux-de-Fond. - Départ à
4 heures, voiture omnibus à 2 chevaux,
découverte - à gauche, le gros court,
silencieux et observateur, en face une sorte de dame aux
fleurs de chapeau fanées, d'une malpropreté
intérieure et sans linge, & qui devait boire,
& une autre assez gentille, à l'il malin
& à l'air avenant.
Sur le Cret - aux Éplatures - l'église neuve,
dans une région inhabitée.
La Chaux de Fonds: J'y reste de 5 heures du soir à 3
heures de l'après-midi. Couche et déjeune et
dîne à la Fleur de Lis. - Connaissances :
Aurèle Sandoz sur le / 13 / Plan, Made Justine
sa femme, ses 4 fils Louis-Aurèle, Édouard,
Fritz et Ulysse, et sa fille, Made Würflein, avec son
mari, beau-frère, belle-sur, et le petit Jean
son garçon. - Je soupe chez Justine, où je
renoue tous nos souvenirs avec l'amie de ma mère.
Je ne vais voir ni Philippe Brandt, ni Édouard Sandoz
et Mlle Louise Robert (connus à Weissenburg)
- La fabrication des aiguilles de montre, l'hôpital,
le planétaire Ducommun ,
le Cercle démocratique, et une promenade sur la
montagne pour embrasser la vue du village, occupèrent
la matinée.
Vallée plus ouverte et plus large, maisons sur roc,
pas de rues régulières, ni maisons
contiguës, point d'eau. Église ovale, une
chapelle catholique. - les 3 noms : Sandoz, Robert, Brandt
tapissent les rues. - Moitié d'allemands - l'ennui de
cette ville industrielle - Habitudes, murs,
inclinations, partis politiques. Il n'y a pas encore
d'aristocratie ; les filles les plus riches ne refusent leur
main à aucun garçon de mérite, talent,
habileté & bonnes murs ; pas de mariages de
convenance et d'argent. L'église abandonnée ;
les ecclésiastiques étant royalistes.
[4 Sept. Samedi].
Départ à 3 heures, par la diligence. -
Compagnons de route, un horloger genevois, gros lourdaud
fruste et candide, du nom de Pourtalès, et un
naturaliste / 14 / remarquable, esprit fin,
résolu, dégagé, étendu,
pharmacien à la Chaux, du parti libéral, avec
qui je me suis entretenu de géologie, et politique
neuchâteloise, & qui m'a beaucoup instruit sur les
gens et les choses : son nom est Nicolet
. Il allait à Fontaine et me quitte aux Geneveys.
Arrivée à Neuchâtel à 6
1/2.
Je trouve enfin Wolfrath . Il
m'impatiente singulièrement, tâtillonne toute
la soirée et le lendemain tout l'après-midi,
et le Dimanche soir me quitte avec les conditions les plus
lourdes qu'il ait présentées ou à peu
près. - Il me lit l'article de Made
Lat[our?]* et les billets de M[arc]
M[onnier]* y-relatifs. Une phrase m'y fait
q[uel]q[ue] impression : " Avec plus de
sobriété, A[miel] pourrait être
le premier écrivain de la Suisse ". Ce petit jugement
me fit un peu réfléchir le soir en me
couchant. Serait-il vrai ?
[5 Septembre Dimanche].
Culte. J'entends le past[eur] Dupasquier
, à la Collégiale, discours simple, clair,
mais pauvre et superficiel sur la Foi et la
possibilité de croire ; glorification de la
crédulité à tout prix était la
conclusion imminente et invisible du sermon. - MM. Marval,
Pury*, Godet. Costume des communiantes. Temps douteux.
Dîné à l'Hôtel des Alpes. -
Après le café, promenade sur le Quai
ombragé - Rencontre de Mr Tissot*, avec les jeunes
Empeytaz , frère et
sur. - Passé l'après-midi / 15 /
avec Bovet*, conversation facile, large, intime.
Soirée à MonRuz, avec Wolfr[ath] . -
Je cherche la raison des préjugés
féroces en Amérique contre le sang
mêlé, et parle de la race blanche. - 2 parties
d'échecs avec la gentille Made Rose, au profil
Schilleresque. Son mari en est tout fier.
[6 Sept. Lundi]
Visite d'adieu à Mr Godet, qui me témoigne
b[eau]c[ou]p d'affection - Fait la
connaissance de Mr Félix Chavannes,
pasteur d'Amsterdam , sur le port. - Bovet* m'accompagne
jusqu'à Cortaillod. - Jour de pluie. - Je retrouve Mr
Tissot* qui retourne à Genève avec ses
compagnons.
Yverdon. - Je passe 6 heures avec Mr Correvon Jules. Pendant
2 [ h.] nous épluchons sa belle
bibliothèque philosophique et économique,
causant de tous les auteurs, surtout de ceux que je ne
connaissais pas (Wagner , Aug.
Comte, etc.) - Puis festin à grand orchestre. La
famille se compose de Mr C[orrevon], sa femme, 2
jeunes garçons . Il
y avait 2 étrangers, une parente de St-Gall, et Mr De
Guimps, numismate . -
après le dîner, conversation de verve, sur la
métaphysique, les mathématiques, Hégel,
l'autorité, la Démocratie, etc. Je me sentais
sur le trépied.
Promenade avec Mr Correvon. Sa bibliothèque juridique
et historique, le Cercle d'Yverdon, les devoirs du
philosophe. Visite inutile au Valentin. - Je trouve la
famille de Roug[emont] aux missions ; ils me
remmènent.
/ 16 / Soirée au Valentin. Vigoureuse et
parlementaire discussion sur la méthode philosophique
: Déduction, Induction, Conduction (assimilation),
Construction et Reconstruction dans l'Histoire naturelle et
l'Histoire, sur Hegel et le christianisme, la Revue de
Théologie de Mr Schérer*. - Mr de
Roug[emont] a la bonté de dire à sa
femme que des couplets de cette sorte lui sont plus
profitables que des mois et des années de travail
solitaire. La philosophie de l'histoire fut le centre de
notre entretien ; sur des bases métaphysiques. -
À table, avec la famille (5 enfants dont 3 filles,
l'aînée de 19 ans, Madame, plus un jeune
peintre de portraits, Mr Zindler ( ?) , la causerie se
tourne vers la littérature, et au salon sur la
peinture, à l'occasion des portraits de toute la
famille, que faisait ce jeune homme (méthode curieuse
: combinaison d'estampe, crayon noir, estompe, craie, crayon
gris et grattage - approchant de la manière noire ou
de l'aquatinte).
J'ai été extrêmement satisfait,
rafraîchi & émoustillé par cette
étincelante joûte d'Yverdon. C'est avec le bon
air, le mouvement et la distraction, mon principal tonique.
La verve est nécessaire à ma santé,
parce qu'elle donne à ma vie sa vivacité
normale. Je me reconnais et me sens à ma place, quand
je nage à grande aile dans l'éther de la
pensée, du sentiment et de la poésie.
/17 / [7 Sept. 1852, Mardi].
Départ d'Yverdon à 6 heures du matin, par
l'omnibus de Lausanne : 4 chevaux pour 2 voyageurs ! Mon
voisin était un bernois domicilié à
Morges : figure dure et ingrate, et qui valait
b[eau]c[ou]p mieux que sa figure ; nous
parlons des télégr[aphes]
électriq[ues] et du concours de charrues
à Grandson. - À Échallens, un grand
maigre, mal vêtu, se joint à nous. L'expression
de son regard m'intéresse, & enfin je
découvris que c'était le successeur de Mr
Gaberel
à la cure de Poliez-le-grand, l'ami de Bordier*,
Paulin Naef.
À 9 1/2 je débarque à Bel
Air sur Cheseaux, chez mon vieil ami Fréd. Troyon*
- Je le trouve au fond de son allée de dahlias,
creusant des tombes et déterrant des Burgondes. Je
lui consacre un jour entier.
Le ciel étant à la pluie, c'est à sa
Collection soit d'objets, soit d'empreintes, soit de dessins
coloriés ou non que nous avons consacré
presque tout la journée. (Crânes, agrafes,
fibules, agrafes, glaives, poignards, fers de
flèches, colliers, umbo de
bouclier, clés - en silex, bronze ou fer) - Quant
à l'ethnographie, Tr[oyon]* croirait qu'il y
a eu deux âges d'invasion en Europe : (1. population
primitive - 2 population celtique, romaine, grecque, etc.)
avant l'arrivée des Germains.
/ 18 / C'est le mode de sépulture, lié
aux idées religieuses qui tracerait les divisions
:
1er âge : enterrait les morts.
2d âge : les brûlait
Dans l'Helvétie,
les Helvètes enterraient
les Helvéto-romains brûlaient dans la
règle.
Les Helvéto-burgondes enterraient.
2d principe (chronologique) : la nature des
minéraux exploités :
âges de pierre, de bronze, de fer.
3ème : degré de perfection, soit dans la
forme, soit dans l'ornementation des objets (de paix ou de
guerre, d'utilité ou de parure).
- Autres questions : Les autels d'offrande - autels de
sacrifice - pierres à écuelle - pierre aux
dames de Troinex - l'autel
à couches superposées (ossements
brûlés et terre végétale) - la
manière de mouler - la mémoire des
musées et collections. - Les 3 étages de
tombeaux à Cheseaux du 4ème au 9e
siècle, formant 3 âges superposés.
Troyon* habite seul son petit domaine qu'il fait valoir,
avec sa mère. Sa soeur s'est mariée l'an
dernier. - Les amis communs, le mariage, la Suède et
autres sujets nous ont aussi occupés, ainsi que nos
projets de travaux réciproques. Tr[oyon*] est
ambitieux, spécial, persévérant. Il
parviendra.
/19/ Il me fait passer la soirée dans la
famille Mercier. J'y trouve l'amphitryon, homme rond,
affable, jovial et excellent, qui est veuf, son frère
(Mercier-Francillon), dont la jeune femme découvre
qu'elle a connu mes soeurs & qu'elle est ma cousine (par
les Audéoud), le pasteur Vuilleumier
et sa femme, & un vieillard de Lausanne, qu'on appelait
cousin. Joli et brillant souper commencé par des
becs-figues. J'explique les fleurs
animées aux 2 dames, auxquelles je tiens
compagnie pendant la tabaquerie de ces Messieurs ; chacun
gagne au partage.
[8 Sept[embre] Mercredi]
Dans l'omnibus de Lausanne, je trouve MM. Mooser et
Oltramare* & je commence les réclames pour
Franki .
- Pour employer les 3 heures de la matinée qui me
restaient à Lausanne, je fis le tour de la ville,
puis visite à la famille Gaudin (le jeune homme
malade - le père m'engage
à écrire dans la Rev[ue] de
Théologie), à Aimé Steinlen
, dans son appartement-cave (sa femme encore portée
à bras), à Audemars
qui me retient à dîner (gare aux ménages
allemands, malgré leur cordialité, le sens
esthétique y est singulièrement
offensé). -
Musée Arlaud , je le
parcours en détail. Q[uel]ques Calame, Diday
et Gleyre me frappent
beaucoup.
/ 20 / De Lausanne à Genève , je tiens
compagnie à 4 dames russes, dont l'une
m'intéresse graduellement beaucoup. Par une aventure
bien bizarre, cette dernière était la cousine
du seul sujet de l'autocrate, avec lequel j'aie
été particulièrement lié, de
Solyenikow , mon ami de
Berlin, et cousine dont il m'avait parlé une fois,
comme d'un ange dont il ne voulait pas, lui l'excentrique,
l'exalté et l'original Struwelpeter
. - Après 3 à 4 heures de conversation presque
ininterrompue, je suis resté sous l'impression de la
grandeur & de la puissance morales, &
j'étais, ma foi, presque amoureux. J'ai pu lui rendre
quelque léger service, elle m'a donné son
adresse [Odessa] ; mais je n'ai pu la revoir &
le lendemain ces dames étaient en route pour Turin.
Nos voies s'entrecouperont-elles une seconde fois ? Est-ce
un appel ou une séduction ? Vaut-il mieux oublier ou
poursuivre ? les âmes se rencontrent, mais autre race,
autre religion, autre patrie, autre destinée !... le
dilemme m'a tenaillé tout le jeudi, et la
prière, la solennité religieuses (Jeûne
genevois), m'ont seules délivré de mon
angoisse. [Amiel a évoqué cette rencontre
avec plus de détails dans son Journal intime, vol.
II, p. 261-262].
Le 8 à 6 heures du soir, j'arrivais à
Genève, par un déluge. Je n'ai revu ma famille
que vers le soir du lendemain. - Ainsi finit mon
excursion.
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