Naples, mercredi 26 janvier 1842.
Mes chers oncle, tante, soeurs, cousines, etc. !
Il faut décidément que l'hiver soit
terriblement froid à Genève, car je pense
que vos encriers sont gelés, ou vos plumes
fendues, que vous ne m'ayez pas écrit depuis
Noël...
Nous avons, depuis cinq jours, de belles matinées,
suivies de pluies jusqu'au lendemain. Aussi, le dimanche
que nous étions allés au couvent des
Camaldules, M. Blanvalet et moi
1, nous avons dû
revenir à la course. Nous étions partis
à midi. L'allée et le retour font quatre
lieues ; c'est être « lion » à
Naples, que d'avoir fait cela, sans voiture, ni mulets,
ni surtout repos au couvent. Avant de quitter Naples,
j'ai envie de vivre quelques jours dans ce couvent, pour
étudier la vie de la cellule, et une des plus
magnifiques vues du monde, car il est au sommet d'une
montagne. Je pars pour Rome, au milieu de mars. La
semaine sainte commence le 21... Les heures de libre
amitié et d'épanchement presque intime, que
j'ai passées près d'une femme pleine
d'âme, madame Charbonnier, et celles où
Blanvalet lit quelque poésie, sont les plus belles
que j'aie de temps à autre. Blanvalet
dégourdit ma paresse. Je reprendrai
peut-être la plume. Adieu, chers parents,
écrivez, écrivez-moi, et recevez les
embrassements de coeur, de votre neveu, frère et
cousin.
FRITZ A.
P. S. Les affaires sont troubles chez vous,
à ce qu'il paraît. La révolution s'en
va en eau, il faudra recommencer, dit-on, du moins si le
3 mars2 ne veut pas
avoir triomphé en vain. Qu'a fait la Constituante
?
Je serais embarrassé d'être à
Genève à présent. Je ne suis
passionné pour aucun des deux partis, et, par
conséquent, j'en vois les torts, ce qui rend
l'enthousiasme et la frénésie difficiles.
D'ailleurs, il faudrait étudier 1815, et notre
histoire depuis 1815, pour apprécier l'attaque et
la défense, et dans l'emportement du jour, ce
calme philosophique serait ridicule. Donc, à bas
les vaincus !